Je te le demanderais, une autre fois.
Courir. Courir loin, courir vite, sans aller nulle part. L’élan m’avait saisi sans que je songe à y résister mais c’était une bête qui avait filé dans la nuit, une bête noire, courant sur ses quatre membres en quête d’une impossible échappatoire.
Le goût de l’angoisse, au coeur.
Et l’amertume des mots que l’on regrette déjà d’avoir prononcés. Que l’on regrettera de prononcer, à l’avenir.
La bête avait couru longtemps, absolument insensible à la fatigue, dans le seul but d’épancher cette peur qui croissait déjà comme un lierre dru.
Je sentais encore leurs regards sur moi. Le parfum du thé, et l’odeur de l’alcool, et la rumeur nichée au creux de la grande salle de la taverne.
Je sentais leurs regards comme si, devenu livre, ils eussent tenté d’ouvrir les pages qui ne leur étaient pas destinées, des pages qu’on a pourtant peur de détruire et d’oublier.
Il y avait eu le trouble, tout d’abord. Un trouble léger, puis plus profond, soudainement, comme se creuse un étang, et ensuite…
Il y avait eu la peine. La peine était un trou d’eau dans la tourbière. Noir. Froid. Opaque.
Il y avait eu un vide et la bête s’était jetée dedans. Devenue corbeau, elle s’était élancée pour froisser, du bout de l’aile, le velours moucheté d’écume de la nuit. Le corbeau s’était laissé porter par les courants ascendants, et il avait trouvé la mer.
Je savais que j’étais pris au piège et cela ajoutait à l’angoisse qui m’étreignait. Car face à quelqu’un qui a accompli un tel don de soi, comment faire autrement que rendre la pareille ?
La mer était d’un noir plus profond. La clarté du ciel lui conférait une timide transparence d’obsidienne.
Je voulais continuer à oublier.