Le vertige de l'étoile

Ancien Messages : 212 Date d'inscription : 18/05/2012

Avec pour tout ciel la toile épaisse de la tente, raide comme une figurine de pierre dans le carcan de bandages emprisonnant sa poitrine, Chani contemplait le vide. Etourdie par la touffeur dense de son abri, le monde autour d’elle avait une fixité oppressante qu’un rayon de lumière mourante fendait en deux. Il flottait dans l’air une tension trouble qui persistait longtemps après que le jour se soit éteint. Bien sûr, la surveillance extrême dont elle avait été l’objet depuis sa sévère blessure avait suffi à raccommoder le corps. Mais des lésions bien plus profondes creusaient des sillons acides dans l’esprit et y étendaient des racines souillées. Luttant contre un sommeil qu’elle savait fatal, son poignet avait la rougeur moite de l’empoisonnement. Elle sentait la marque brûlante pulser dans sa chair en un inexorable appel. Un vertige nauséeux agita ses pupilles sèches, et son regard immobile glissa jusqu’à la lisière de la lucidité où elle fut happée par le songe..

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Prostrée dans une position misérable, le ululement plaintif d’un oiseau de nuit lui fit relever la tête. Parmi les ténèbres environnantes, le bruissement des feuilles gonfla les frondaisons luxuriantes de rumeurs indistinctes alors que des battements d’ailes invisibles s’échappèrent de la canopée. Elle remarqua alors l’œil vibrant d’une étoile unique perçant les ombrages avec une étrange intensité. Son écrasante surbrillance avait quelque chose d’avide et elle ressentit un profond malaise dans l’enivrement de cette clarté hypnotique. Un frisson grimpa le long de son dos. L’affreuse intuition lui fit baisser les yeux sur la glaise du sol, d’où s’exhalait une vapeur violâtre et nauséabonde.

Au loin le rythme d’une vibration pesante annonçait l’approche d’une chose puissante et dangereuse. Bientôt le martèlement se mua en un vacarme de meuglements désordonnés, pareils à ceux des bêtes sauvages en fuite. Autour d’elle la jungle crépusculaire s’anima de formes imprécises convergeant à une vitesse démente dans le même sens et un violent coup à l’épaule la projeta en avant. Epouvantée, elle s’arracha de la fange malsaine et se rua au travers de la végétation noire, repoussant les lianes noueuses ondulant depuis les cimes de la forêt. La rapidité étonnante avec laquelle elle avala les distances la mena dans d’interminables dédales de bourbe, de branches poisseuses et de feuilles tranchantes. De part et d’autre, les chimères animales poursuivaient leur cavalcade infernale en un flot ininterrompu d’où émergea une ombre plus sinistre encore que toutes celles habitant son cauchemar. Claquant des mâchoires voraces, la créature dandinait sa masse désarticulée avec une prodigieuse élasticité, bondissant sur deux membres inférieurs horriblement longs. De sa gueule béante suintait la même pestilence violacée stagnant sur la terre et ses grondements ignobles résonnaient en son âme comme des déchirures. Une ronce fit trébucher l’infortunée Chani. Soudain, elle sut quel dénouement funeste serait sa fin alors que derrière elle le Siir’tis rugissait d’une insatiable avidité.

Basculant sa face vers le firmament, elle vit l’astre qui étincelait toujours entre les feuillages. L’étoile brillait avec une force plus incroyable encore qu’auparavant et ses feux argentés inondèrent ses yeux d’un éclat hallucinatoire. Aveuglée d’étincelles merveilleuses, elle sentit son être en transe dériver lentement. La lumière engloutit les monstres, les bêtes, la sylve et les cieux et il ne resta plus que le blanc..

Le blanc d’une nouvelle aube sur Vol’dun.