THIEG
Elle regardait son frère revenir de la ville le sourire aux oreilles. Même qu’il ne ronchonnait pas quand P’pa lui demandait d’aller couper du bois pour l’hiver qui se rapprochait. Il revenait avec plaisir dans sa famille de paysans, s’acquittant des corvées avec grâce.
Leur père avait fini par l’envoyer en apprentissage à Gilnéas, comprenant rapidement que son fils n’était pas fait pour la vie des champs.
La ville semblait si lointaine. La grande ville. P’pa lui avait dit : ça sentait mauvais, les gens étaient toujours pressés : ils ne vous regardaient pas dans les yeux, ils étaient entassés les uns au dessus des autres dans de hautes maisons. Même le sol était fait de pierre et les fleurs ne poussaient que dans des jardinets.
Décidément, elle ne comprenait pas l’intérêt de son ainé pour ce genre d’endroit, mais lui en revenait guilleret, des anecdotes plein la bouche comme une grande aventure qu’il vivait chaque jour.
La jeune fille savait que son frère avait besoin d’une autre vie que la leur. Mais elle regrettait un quotidien fait de rires et d’espiègleries : Enorig était aussi ennuyeuse qu’une marguerite : jolie, mais bien droite, déployant ses pétales blancs devant les garçons des hameaux alentours et rêvant de mariage et d’enfants ; Siwan jouait encore à la poupée et Rhys n’était guère plus qu’un bébé.
Seul Thieg savait si bien illuminer ses journées.
Le jeune homme aussi roux que toute la tribu, était fin, élancé, mais pas trop grand. Des yeux bleus pétillants de joie. Qu’il pleuve, neige ou vente, il trouvait toujours à louer la joie qu’il y a sauter dans les flaques, à faire des bonhommes de neige, ou à courir après une écharpe s’envolant dans la tempête. Même ses instants de tristesse devenait tragédie comique, après les deux secondes qu’on aurait pu avoir à le plaindre.
“-P’pa, je vais l’épouser. C’est la plus jolie fille que j’ai jamais vu. Des cheveux comme le soleil, et un sourire…. un sourire !” déclamait-il avec un sourire béat.
Et de revenir deux mois après, agitant les bras comme un moulin à vent :
“- Je n’ai plus de cœur… elle l’a coupé en morceaux. Je n’aimerai plus jamais. Elle l’a réduit en miettes, en miettes ! Mon âme souffre et…”
P’pa était du genre patient. Il écoutait les revirements de situations entre deux absences de son rouquin de garçon, avant de lui mettre un œuf en main et de lui dire qu’avec du blanc d’œuf, il saurait recoller les morceaux ou de lui faire remarquer que même un seau percé faisait un très joli pot de fleurs.
Thieg avait hérité de la simplicité joyeuse de P’pa, mais il l’avait juste étendu jusqu’à s’en faire une cape et de s’en être drapé dedans. Parfois, il s’enroulait les pieds dedans, et paf, il tombait avant de se relever et de recommencer.
“Et là le gars, celui avec le cache-œil lui dit : Tu penses être à la hauteur petit ?!” grossissant la voix.
Le rouquin attrapa la bassine de fer blanc et l’envoya valser à travers la grange.
“L’autre, il attrape sa chope et lui balance dans la tronche ! La bière lui rentre dans l’œil alors il voit plus rien”.
“Aaaaargh, je vais t’embrocher comme un poulet !!” faisant mine de retirer le liquide de son visage, clignant avec force un seul œil avec ridicule, l’autre fermé (oui il est borgne, faut suivre !).
Alieg regardait son frère s’agiter, sautant d’un ballot de foin à un autre, lançant son pied dans un des piliers de la grange, frapper avec le manche d’une pelle tel une épée la barrière, tout en mimant l’un ou l’autre des protagonistes.
La fin était étrangement toujours la même : la rouquine devenait l’un des personnages présumé de l’histoire quand, brusquement, son frère lui sautait dessus, tâchant avec expertise de lui mettre une poignée de paille dans les cheveux, et qu’elle essayait de répliquer en attrapant une jambe de son asperge de frère, pour finir par les envoyer rouler tout deux dans l’herbe sèche.
Ensuite, seulement ensuite, les yeux tournés l’un et l’autre vers le toit de la bâtisse, l’odeur piquante et chaude du foin autour d’eux et de la poussière qui finissait par retomber, ils avaient leur moment “sérieux”.
La jeune fille écoutait la sagesse de son frère comme on boit après une longue marche. Ce n’était pas la sagesse de P’pa, celle qui vient des vieilles pierres. C’était la sagesse d’un jeune homme pétillant, débordant de curiosité, qui aimait réfléchir sur tout et sans aucun tabou. C’était un miroir sur un monde lointain : la capitale. Thieg avait des théories sur tout, était attentif aux détails : il détaillait une personne dans ses moindres effets avant d’analyser son comportement et d’inventer ce qui l’avait amenée à être ce qu’elle avait été : une vieille femme à l’air triste et à la robe de bonne confection mais élimée, un jeune loubard aux multiples tatouages et un œil au beurre noir… tous y passait.
Il répondait aux nombreuses questions de sa petite sœur, avant de l’écouter, elle.
Alieg avait fini par comprendre qu’une seule chose ennuyait Thieg. Le fait de ne rien percevoir du monde vivant autour de lui. Alors elle limitait souvent son tour à décrire les dernières minauderies d’Enorig, où à raconter le dernier éclat de rire d’un bon mot du petit dernier, avant de commencer à établir des plans pour aller tirer les pièges posé ci et là, le lendemain, en rêvant de lapins ou d’écrevisses.
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Il regardait sa petite sœur dormir, le visage tranquille dans l’air froid de la nuit. C’était sa préférée et tout le monde le savait. Elle l’avait en adoration et c’était réciproque. Il lui suffisait de voir sa trombine tâchée de son s’éclairer à chacune de ses histoires, le sourire s’élever à chacune de ses blagues pour s’enorgueillir de l’instant comme un paon. Et puis, cette lueur au fond de ses yeux bleus piqués d’éclats rouge comme si on y avait mis des coups d’épingle… Cette lueur de défi, d’espièglerie voir d’effronterie, qui répondait à l’instant à chacun de ses plans foireux pour aller jouer un tour, complice idéale pour toute farce bon enfant.Alieg n’était pas comme l’ainée, Enorig, jolie fleur fragile et délicate. Elle était le lierre, fin mais solide, serpentant sans accepter de barrière, escaladant pierres, murs et arbres, sans craindre de s’écorcher les mains. Elle était le rire léger et naïf, son regard curieux porté sur tout ce qui l’entourait. Elle était surtout une enfant joyeuse avec qui faire les quatre-cents coups. L’esprit de Thieg rejoint à son tour le sommeil. Rêvant de sa dernière conquête en date. Celle là aussi, il l’épouserait. Une brune au caractère bien trempée et aux yeux aussi sombre qu’une nuit sans lune. De ses mains fines se posant sur sa taille, de ses lèvres douces et aguicheuses sur les siennes. Et puis, passant sous la chemise de la belle brune et profitant de sa poit….DEBOUUUUT THIIIIIEG !
Le rouquin soupira. Malheur. Avoir une petite sœur….