Insomnie perdue

Yuri ne dormait pas contrairement à Vaillance, l’heure était sans doute bien trop avancée pour être raisonnable pourtant le médecin veillait l’infirmerie. Assis sur un tabouret face au bureau, il s’occupait à parfaire sa technique de suture sur un pied de cochon à la lueur d’une bougie, bercé par la respiration de ses deux patients.
Le professeur MacGrath avait subi l’ennemi et l’allié pour finir à bout de force dans un lit d’infirmerie, son état n’était pas critique simplement préoccupant. Contrairement à Adrian Lydon que Nimentz avait dû ranimer sur le champ de bataille, peut-être garderait-il des séquelles ? Il était trop tôt pour le dire. Ils avaient promis au sergent d’Erdeval de garder ses deux camarades, le jeune homme comptait bien remplir son devoir.

Ce n’est pas la raison qui te garde éveillé...
Un soupir lui échappa, il venait de rater un point à cause de sa main droite. Cette dernière s’était remise à trembler légèrement à l’évocation de la prêtresse. Le médecin de batailler avait perdu ses moyens pendant cette mission à l’instant où le Vide avait englouti plusieurs de leurs ennemis. L’ombre le dominait depuis le Cathédrale, la méthode employée par Briseïs avait ravivé des souvenirs de folies et une peur primaire.
Tu ne peux pas lui échapper...
Le tintement du métal sur le bois brisa le silence de l’infirmerie, les doigts du chirurgien avaient relâchés l’aiguille après un nouveau sursaut. Le mercenaire avait fait l’erreur de croire qu’il pourrait dormir après cette soirée, sans méfiance, l’antre de Shelton s’était rappelé à lui. Des murs difformes aux couleurs tantôt criardes tantôt sombres comme la nuit, les cris des damnés et les murmures insaisissables. Les restes calcinés d’un tabard blanc sur le sol, une silhouette difforme qui cherche à l’étrangler et un trône flamboyant qui lui brûle l’esprit.
Le courage te fera défaut...
Yuri frotta ses yeux fatigués en sachant pertinemment où il se retrouverait si ses paupières venaient à se fermer de nouveau. Il reporta son attention sur son carnet qu’il décrocha de son ceinturon d’une main nerveuse, l’ouvrant aux dernières pages : Ses notes sur Lydon. Le maître des ombres était couvert de tatouages liés au Vide, le médecin s’en était aperçu en cherchant à le sauver. Il n’avait pas réussi à le toucher au début, reconnaissant l’aura malsaine des runes avant de céder devant la gravité de son cas.
Il t’a déjà trahi...
À la suite des notes, venaient les croquis des tatouages d’Adrian tandis qu’un tic nerveux agitait son œil gauche. Ces dessins n’étaient là que pour une raison, Nimentz accumulait des connaissances sur le Vide pour éclaircir l’inconnu qui l’effrayait tant.
Il abandonna le tabouret pour rejoindre son imposant sac de médecine qu’il transportait avec lui en mission. Le chirurgien en sortit un coffret scellé, une belle pièce de chêne, qu’il rapporta à son bureau. Pour s’aider, il devait comparer, chercher une cohérence mais cela impliquait de s’y replonger volontairement, de retourner là bas.
Un prétexte...
Un déclic sonore aux allures d’avertissements résonna à ses oreilles, le coffret déverrouillé Yuri pouvait s’emparer de son terrible contenu. Le carnet n’était pas différent des autres si ce n’était la terrible balafre qui avait brûlée la couverture et une partie de son contenu. Même lui pouvait encore sentir l’aura suintante du Vide dans cette blessure de papier.
Ses écrits de la Cathédrale, il avait noté tout ce qu’il avait croisé par habitude puis par protection au fur et à mesure de leur descente dans les abysses, le médecin s’était réfugié dans les pages pour atténuer la réalité insoutenable.
Une illusion...Écrire sans comprendre...
Nimentz connaissait chaque feuilles par cœur, une constatation malsaine qui le mettait toujours mal à l’aise. Fébrilement, il étala les vélins des tatouages autour de lui avant d’ouvrir son terrible carnet, sans remarquer que son souffle se faisait plus erratique. Des inscriptions sur les murs macabres ,des sigles sur le sol maudit...Le médecin avait tout noté et cherchait un tracé commun avec les runes du maître des ombres.
Le monde ne changera pas...
Chaque passage était associé un événement toujours plus affreux à mesure que le groupe avançait dans la Cathédrale. Ses recherches ne donnèrent rien, sa frustration lui fît baisser sa garde et il se laissa déborder par des souvenirs revigorés par l’artéfact impie.

La brise qui soulève la cendre dans une salle flamboyante, elle était devant moi avant de disparaître...Le visage scindé en deux, la cage thoracique à l’air libre, il refusait de mourir...Des mains implorantes qui se tendent vers moi lentement consumé par le Vide...Je ne peux rien faire...Je suis faible...Inutile.
Le regard dans le vide, Yuri Nimentz ne lisait plus, prisonnier de lui même.
Tu es toujours là-bas...