Au tournoi des espoirs déçus

Un tournoi.  

Mon intérêt avait aussitôt été piqué. A peine nous débarquions que le Capitaine l’annonçait aux faubourgs ; il aurait lieu dans quelques jours, et sous le regard de Hurlevent. L’occasion d’élire le champion de la compagnie et de distribuer des marques noires. Je baissai le nez sur celle dans ma main. Quelles avaient été les récompenses pour les autres déjà ? De l’or. Des titres aussi. Je me souvenai d’un jeune homme introduit avec ridicule dans l’enceinte improvisée ; la foule l’avait raillé à son entrée et il s’était tassé sur lui-même en retour, paraissait plus petit encore qu’il ne l’était.

Moi aussi je l’avais hué. J’étais jeune alors et n’avais pas réalisé à quel point le garçon faisait preuve de courage en cet instant. Il devait s’agir d’un paysan venu tenter sa chance, appâté par la récompense et motivé à modifier le cours de son destin ; car qui l’emportait empochait une somme conséquente et se verrait proposer un poste dans la milice personnelle du noble organisateur du tournoi. Il y avait de quoi attirer du monde – et il y en avait bel et bien.

Le jeune homme faisait pâle figure devant tous les autres participants ; son armure se composait d’un vieux plastron usagé, d’un casque trop large pour sa tête et de chausses trouées. Dans sa main se trouvait une épée et à son avant-bras un bouclier dont je décelai, malgré ma méconnaissance de ces choses, une toute autre facture. Il avança la tête basse sur le terrain dégagé, rejoignant la file des autres participants sans saluer la foule. Je n’arrivai pas à en décrocher mon regard.

Les combats débutèrent sans moi et s’enchainèrent ; j’étais venue pour y assister et pourtant mes yeux ne les voyaient pas ; les cris, la rage étaient sourds à mes oreilles et ma voix se faisait muette à son tour. Mon énergie se réservait pour un affrontement ; je bouillai de le voir lui.

Alors quand enfin il fit un pas en avant en réponse à son nom appelé, je l’encourageai à m’en essorer les poumons ; petite sœur m’imita. Peut-être nous entendit-il au redressement de ses épaules, au bombage de son torse. Si sa bonne étoile veillait dessus… L’espoir était permis.

Elle ne le fit pas.

Dès le premier coup porté il s’effondra, le nez en sang et très probablement cassé.

La déception avait été grande. Comme elle l’était encore ce soir.
Pour faire passer son goût amer, je proposai de prendre un verre à Lomerak ; le verre fut deux bouteilles de rouge et les deux bouteilles de rouge bien des choses.