Rumeurs de la compagnie

Depuis la mésaventure au caveau, l'aspirant ne laissait aucun doute quant à sa condition. Il était en manque. Et ce pendant trois jours entiers, où il cherchera à contenir les tremblements de ses mains, les pulsations malades de ses iris, son aspect fatigué.

A grand renfort de sa flasque contenant Lumière seule sait quoi, et ses cigarettes dopées au poison de Quel'Thalas, il combattait le mal par le mal. Un comportement qui pouvait inquiéter, mais qui n'avait rien de nouveau. Ce n'était pas son premier épisode de manque au sein de la compagnie, ils survenaient toujours après des épisodes particulièrement éprouvant pour la compagnie.

Mais ces crises ne duraient jamais éternellement. Dès l'aube, le sorcier semblait de nouveau frais, à l'exception d'une barbe mal rasée, il brillait à nouveau de cette force et de cette assurance qui le caractérisent. Outre ses devoirs, il aura également de toutes autres occupations. La compagnie le verra rendre régulièrement visite à sa complice du crime Aldereth, ou encore à Hilliard avec qui il passera de longues heures à travailler sur un projet tout particulier.

A en juger par la fréquence de ces allers-retours à la forge, quelque chose d'important se préparer. Mais plus encore, il touchait au but.

Le collaboration qu'il menait avec le mage Borghese était tant riche en interêts que satisfaisante, et il y avait passé la quasi totalité de son temps libre, à étudier, forger des prototypes, ne s'accordant qu'un peu de repos le soir tombé, tombant par ailleurs assez souvent de fatigue et dormant d'un sommeil de plomb quand il ne somnolait pas à moitié assis devant le feu.

Il n'y avait eu que très peu de place, dans l'esprit du forgeron, pour toutes autres distractions, puisqu'il lui fallait bien honorer la date limite que lui avait donné son collaborateur et client.

Mais l'objet jalousement gardé des regards indiscrets se concrétisait au fil du temps, prenant vie au delà de simples schémas.
Le forgeron gagnait en confiance, et son talent avait là toute la liberté de s'exprimer, et ce, sans presque aucun ratés. 

Et pourtant, alors qu'il s'y était remis en fin de journée, une ombre au tableau vint perturber toute l'oeuvre du travailleur, qui, fort heureusement, s'était concentré sur les armures de la compagnie plutot que le projet hautement couteux.

"Bord-AAAAÏE! MERDE A LA FIN!!!", l'aura t-on entendu vociférer avant d'envoyer valser une partie de son atelier, victime de son échec et de son trait d'humeur. Et lui, d'une injustice bien sentie.

Au petit matin de ce jour, le forgeron avait mis les voiles en se faisant ouvrir un portail pour Dalaran, la tête embrumée des mauvaises nuits, ou de trop peu de sommeil, difficile à dire puisqu'il n'avait jamais été de ceux à rayonner de bon matins.

La forge était bien rangée, trop au gout de certain, peut être. Ses outils rassemblés et mis sous clefs pour ne laisser que les autres a disposition de Griseveille, tandis que les plans de son projet, eux, avaient été emportés sous le bras d'Hilliard sans l'espoir d'y laisser le moindre oeil un peu trop curieux s'y attarder ainsi.

Mais une chose était sûre: pour les invités de fortunes, préférant la nuit au jour, aucun bruit de marteau ne serait de son oeuvre pendant deux jours. De quoi laisser un peu de répit aux oreilles des Kaldoreis les plus sensibles.

A l'inverse de son compagnon de voyage, la jeune prêtresse était positivement ray-o-nnante, et ce bien malgré l'heure. Habillée d'une bien jolie tenue rouge et noir lui changeant bien du lourd uniforme habituel, elle sera passée rapidement à l'infirmerie pour s'assurer que tout allait bien, histoire de partir l'esprit complètement libre.

Le soleil ne s'était qu'à peine levé qu'elle renvoyait déjà tous ses rayons aux rares personnes croisées aussi tôt, sans doute les elfes de l'Enclave. Un sac dans le dos et un large sourire aux lèvres, elle était toute prête à enfin profiter de sa foutue permission, après tant de temps ! Bien méritée.

Progressivement le comportement du sorcier d'Alterac changeait. Du moins, il affichait désormais de nouveaux tics surprenants : Il portait notamment désormais une gourde qu'il allait régulièrement remplir d'eau. Aussi profitait-il clairement de son statut pour faire sa toilette plusieurs fois par jour, ou se mouillait-il plus que de raison le visage ou encore la nuque.

Tout cela étant sans compter les nombreuses heures qu'il consacrait à la méditation à l'ombre de sa tente, ou assis sur un siège improvisé à l'écart. Les yeux clos, la posture droite, imperturbable.

Citation :

Hyperfuse et son assistant ne s’étaient guère montrés dans le camp ces derniers temps, et pour cause : tous deux étaient fort occupés à l’exploration du caveau qui avait donné tant de fil à retordre aux mercenaires.
Accompagnés d’une escorte de mercenaires, les deux membres de la Ligue des explorateurs avaient relevés les dernières données moins urgentes que recelait l’antique lieu, et rapporté nombre de notes et de croquis qu’ils avaient passé ensemble au crible de retour au campement.

Sednarri, quant à elle, était nettement inquiète depuis le retour de la reconnaissance; l’éventualité d’un renforcement de leurs ennemis, avec l’implication des Helarjar, était une éventualité qui ne plaisait à personne. Revoir les mêmes alliances se former que lors de l’invasion de la Légion était à éviter, et elle consacrait son temps à réfléchir à un plan.

Citation :

Brandaf Fouillesol avait manifesté un intérêt mitigé à l’examen du vrykul ramené ce soir-là. Bien sûr, il était fasciné et avait établi qu’il était un lieur-d’encre, caste particulière des parle-os versée dans le marquage des runes. Cependant, il l’était beaucoup moins par le fait qu’il s’agissait là d’un cadavre. C’est donc un peu nauséeux qu’il avait autorisé les mercenaires à disposer du corps.

« Sentez le brûlé, ma p’tite dame ! La sortie d’hier a été mouvementée, pas vrai ? Mais qu’est-ce que vous fichez par ici ? Y’a que mes griffons et moi, et j’crois pas qu’une sortie soit prévue pour le moment ! On m’aurait t’nu au courant, sinon, l’interpela le maître des créatures ailées.
Elles piaffaient à qui mieux mieux, l’appétit peut-être ouvert par cette odeur de fumée.
- J’ai à vous aider pour vos griffons lui répondit Charlie, son regard usé dirigé vers l’enclos.
- M’aider, qu’tu dis ? C’est vrai que je refuse jamais une bonne paire de mains, mais c’est pas par gaieté d’cœur qu’on me les propose en général ! qu’est-ce t’as bien pu faire, hein ?
- Mauvais tir.
- Ahein… Bah ! Ici ça risque pas, va. Tu t’es d’jà occupée de bestiaux pareils ? C’est délicat, j’te le dis. Y paraît pas comme ça, mais c’est des bêtes avec un sacré caractère. Tu vois c’lui là-bas, hein ? C’est Tempête ! Eh beh t’approches jamais d’lui dans son dos ou tu passeras un sale quart d’heure. Même moi je m’y risque pas, pour t’dire ! Même Nessus, qu’est pas mal dans son genre, j’te le garantis, fait moins le cochon. Mais que j’t’entende pas en dire du mal ! C’sont de bons compagnons. Compris, p’tite ? C’est quoi ton prénom au fait ?
- Charlie. Charlie Stardust.
- Eh beh enchanté Charle ! Moi c’est Clifford. J’sens qu’on va bien s’amuser, tous les deux. »
Et le worgen rit en claquant des mâchoires.
Ce moment allait être long.
Long et éprouvant.
La prochaine fois… mieux valait ne pas rater le tir.

Plans, parchemins, bâtonnet en vrai-argent, bourses de composants, lanternes, plume, tonnelet de bière, tonnelet d’eau, viande séchée, autres vivres et autres composants ou outils divers, le sorcier retrouvera la forge et son occupant. Une fois tout ces éléments dispersés sur le lieu de travail, Salvador passera en revue l’ensemble de la forge afin de vérifier que rien ne manque, ou que tout était en quantité suffisante.

Un gobelet d’eau plus tard, l’alteran se délestait des pièces les plus encombrantes de son armure, tabard compris, délaissé sur un râtelier à portée. La forge était allumée et entretenue depuis très tôt dans la journée, et une chaleur infernale s’en dégageait d’ores et déjà. Si en temps normal, cela n’avait pas de prise sur lui, il avait cette fois-ci besoin de tout le confort possible pour œuvrer, et cela passait par l’absence de protections superflues.
Tel un contremaître, il récapitulait chaque étape, et ce dans le moindre détail, avant de lancer le signal à son compagnon artisan. Le départ d’un travail de titan qui avait nécessité des années d’étude, des mois d’économie, autant d’expériences et d’élaborations théoriques. Rassembler le savoir et les composants nécessaires, sans parler de la technique, tout cela avait été une épreuve de longue haleine qui trouve ses origines en Alterac, des années auparavant. Une épreuve qui allait bientôt toucher à son terme. Car enfin, pouvait-il se lancer dans la confection du projet de toute une vie.
Et c’est avec Hilliard Huxley, que le sorcier avait choisi de partager son secret, et l’apogée de son travail d’enchanteur.


Et le forgeron était bien heureux de se voir attribuer un tel honneur. On avait pour habitude, de par ses gestes et son comportement un peu bourru, sans l'ombre d'un doute, de ne pas lui prêter aucune minutie ni patience. Et pourtant si il y avait bien un art dans lequel il excellait, c'était celui-ci. Sa minutie, son amour pour le travail du métal n'avait alors d'égal au reste lorsqu'il s'y mettait. Et si le travail nécessitait essentiellement une force brute, de l'œil d'un profane, il y avait tous ces petits détails, ce travail d'artisanat si fin qu'on ne pouvait passer à côté lorsqu'il s'agissait d'observer cela d'un œil attentif. Ainsi se mit-il au travail, l'équipement de la Retribution troqué contre tout le confort qu'il pouvait se permettre, et la disparition du superflu. Tabard et gambison n'étaient plus dans cette fournaise, et l'atelier lui-même avait été ajusté de façon a ce qu'aucun outil ne soit pas à sa place, ou de trop. Il s'agissait là, des prémices d'un travail de chirurgien, où l'erreur aurait été fatale. Et c'est ainsi alors que débuta là confection de cet objet si précieux, par la fonte de ces métaux précieux arrivant à un tel point de fusion qu'on le voyait luire dans la pénombre naissante du campement.


Tandis que des sommes astronomiques fondaient dans les creusets de la forge, illuminant les alentours de reflets irisés se perdant dans le halo rougeoyant du fourneau, le sorcier s’affairait à investir son pouvoir dans une série de cristaux luminescents, qui passent du bleu azur à l’orange si caractéristique de son pays natal. Un véritable travail d’orfèvre dans lequel il investira de longues heures, avant de s’atteler à diverses tâches pas moins gourmandes de savoir-faire.
Elaboration d’impressionnants glyphes, sigils, et runes sur des vélins d’une qualité rare, enchantement temporaire mais pas moins précieux des outils de son collaborateur, sans parler de la supervision de ce dernier.
Si Salvador laissait le forgeron prouver son savoir faire et ne pas remettre en cause ses méthodes, il surveillait néanmoins de près ses actions, et s’assurait qu’il ne brûlait pas les étapes, poussé par son enthousiasme.
Aussi se tenait-il prêt à lui fournir son assistance à la moindre manipulation hasardeuse ou complexe, se munissant des outils nécessaires pour s’assurer qu’aucun incident ne survienne. Aucune erreur n’était permise.


Le forgeron avait d'ailleurs su ranger sa fierté si propre à la nation qui l'a vu naître bien qu'il ne la revendiquait guère. Ainsi Salvador avait tout le loisir de l'aider dans les tâches les plus complexes. Et bien à l’évidence, la collaboration se faisait fluide et efficace, et chacun de ces assemblages préparés à l'avance -de fines couches de métaux précieux et variés- s'assemblaient, lentement mais surement, alignés aux côtés d'un moule spécialement fabriqué pour accueillir le squelette de la lame. Le feuilletage complexe de l'assemblage final nécessitait minutie et lenteur, et peu importe le temps qu'ils y passeraient, il fallait le faire bien. La forge continua donc de tourner, dans une chaleur plus extrême encore qu'au début de l'entreprise, mais surtout, alors que le soir était déjà tombé au bout d'un moment, les martèlements incessants rythmaient bientôt la vie nocturne du campement, au grand dam des oreilles les plus sensibles, et des couches tôt. Et à en regarder l'avancement du travail, qui lui au moins prenait de magnifiques lueurs en combinant la fusion du métal aux nombreux sorts du mage, il y en aurait encore pour toute la nuit.


Une estimation qui se voulait optimiste. Car les deux hommes en auront jusqu’à ce qu’An’she ne soit haut dans le ciel, au zénith. En effet, ceux qui auront le sommeil le plus léger devront composer jusque tard avec les bruits de forge. Le tintement de l’acier, le crissement de la trempette, et les voix des deux hommes.
Chaque étape cruciale sera récompensée d’une halte. Pinte de bière ou d’eau, viande séchée et quelques autres mets, les deux artisans pouvaient s’offrir quelques minutes de repos et d’échange amical.
Et ce pour mieux retourner au travail. Et c’est jusqu’à très tard le soir que les tâches bruyantes auront lieu, condensées, rythmées, mais elles laisseront place à des activités moins polluantes pour les oreilles affûtées tant des mercenaires que de leurs hôtes gilnéens.
Mais jamais le silence n’existera vraiment dans le camp, car de toute évidence, l’œuvre entreprise ne pouvait être réalisée que d’une unique traite, aussi longue soit-elle. Et c’était au détriment du bon confort des occupants du fort.

C’est au matin, après l’heure des entrainements matinaux que les travaux battront leur plein, à grand renfort de coup de marteau et de sortilèges, que les œuvres commandées par le sorcier allaient prendre vie. Après une nuit entière d’étroite collaboration, d’efforts harassants et d’investissements considérables, l’œuvre de l’enchanteur Salvador Borghese et du forgeron Hilliard Huxley prenait vie.


La mélodie qui n'avait pas cessé de toute la nuit, parvenait maintenant aux oreilles du campement entier comme une cacophonie à laquelle il fallait mettre fin sans pour autant que cela ne soit possible. L'aboutissement était proche, et l'œuvre qui naissait prenait des formes uniques, alors que se joignait, petit à petit, dans une construction quasi similaire, l'image d'une lame jumelle. Les finitions étaient à parfaire, et il fallait bien pour cela au forgeron la lumière du jour pour y parvenir. Ainsi par l'alliage de l'acier d'une vieille dague usée et toute commune, et celui des autres matériaux se dessinait progressivement les arabesques singulières d'un damasquinage réussi sur le pommeau et la garde. Et si le tout était discret, peut être que l'œil avisé saurait y voir les lueurs subtiles des enchantements courant le long de ces marbrures, comme une petite touche, une signature, du forgeron et de son collaborateur. Les armes, puisqu'elles naissaient finalement au nombre de deux, seraient assurément unique une fois l'œuvre des deux artisans accomplis. Et sans nul doute, attireraient de nombreuses jalousies.


Alors qu’enfin le sorcier pouvait jouir de son œuvre, de l’apogée de sa carrière, du fruit d’une vie entière de labeur, il pouvait être vu flattant les lignes, les courbes, et les minutieux détails parcourant les deux lames jumelles. Deux poignards identiques, qu’il gardera jalousement et protègera dans un coffre curieusement rempli d’une myriade de composants magiques étincelants, et verrouillé par ses soins. Coffre qu’il dissimulera non pas dans sa tente, à l’accès de quiconque en cas d’absence, mais dans la tente de l’état-major, loin des regards et de la tentation des plus curieux.
Le sorcier achèvera cette collaboration en félicitant son associé, partageant une ultime rasade autour de la forge, avant de lui offrir sa journée. Lui-même comptait bien se reposer après cette nuit entière de labeur.
Quoiqu’il en soit, un nouveau chef d’œuvre était apparu au sein de la compagnie. Et bientôt, elle pourrait en contempler le potentiel.

Spoiler:

C'est aux alentours de la mi-journée qu'une petite table sera apparue à la gauche du bâtiment principal du camp, sur le flanc menant à la forge sans trop s'en approcher pour autant.

Au fil de la journée diverses outres d'eau, chopes de bière, grandes tasses de café corsé, bols de ragoûts à la viande bien chauds, ensembles de biscuits ou encore des linges frais à peine humides pour pouvoir se débarbouiller apparaîtront peu à peu sur cette petite table, sans que la coupable ne s'approche plus du lieu de travail et faisant même l'effort conscient d'être la plus discrète possible pour ne pas sortir le duo de leur collaboration.

Les ravitaillements auront été apportés jusqu'en début de nuit, et auront vite reprit juste après les entraînements communs matinaux, une petite tête brune souriante s'assurant que les deux grands mercenaires auront de quoi survivre à leur grande création. Et bien sûr, les mercenaires tentant de voler les précieux cadeaux offerts à cette petite table se feront gronder par une prêtresse innocente passant par là.

La mage, comme à son habitude, semblait presque plus occupée dans son temps libre que celui où la mercenaire faisait ses rondes et vaquait aux autres tâches nécessaires à faire tourner la compagnie. Souvent visible à l'intérieur de sa tente entrouverte, l'arcaniste était penchée au dessus de deux ou trois tomes en même temps. Runes, thalassien et occasionnellement commun et schémas tapissaient les pages que Rebecca étudiait ou passait en revue avec une rigueur et une attention évidente.

Finalement en fin d'après-midi, l'enchanteresse se sera dirigée schéma en main vers l'intendance, avant d'en repartir quelques temps plus tard avec ce qui ressemblait fort à un pot de peinture, l'embarquant avec elle dans sa tente et continuant ses diverses études et tracés, comme à son habitude. Quoi que ce soit et pour quoi, nul doutes que tout cela servirait bientôt.

Il n'avait pas dormi de la nuit. S'étant fait tout petit, le plus petit possible, tapis dans le fond de sa tente et les traits figés par l'angoisse, par la colère, aussi.
Un savant mélange de bien des émotions qui avaient fini par effriter le masque de bonhommie apparente qu'il tâchait de garder en toutes circonstances avec déjà plus ou moins de succès.

Il n'avait pas dormi de la nuit. Et pour cela, pour ne pas se laisser sombrer et éventuellement perdre le contrôle de son esprit face à l'inconnu, il avait écrit, ruminé bien des choses en silence. Mais surtout les paroles de cet esprit, qu'il avait étrangement retenu, par cœur, comme un signe évident que le moindre de ses mots l'avaient marqué au plus profond de lui:


"Vous êtes un guerrier. Les vrykuls respectent la force et l'honneur, la mort ne doit pas être donnée par jeu ou par caprice. Je crois que vous la méritez, vous ici plus que tout autre. Je vous offre la bénédiction de la mort. Homme loup. Puissiez-vous en faire un usage judicieux et comprendre le fardeau qu'elle implique."



La force, l'honneur. Le jeu et le caprice. Qu'en savait-il, cet esprit? Était-ce vraiment son cas? Il se surprit à s'interroger quand son regard se posa sur la silhouette endormie non loin qui partageait son abri. C'est qu'il en avait fait, des choses inavouables. Peut être pas par jeu, peut être pas par caprice, mais l'honneur avait ses limites qu'il avait dépassé à son sens.

Le mérite. Qu'est ce que le mérite, quand on est payé grassement à tuer n'importe qui sur son passage? Ou était l'honneur? Existait-il vraiment sous la bannière à la dague? 
S'il n'avait jamais pris gout au massacre, il en avait son métier, son crédo, laissant librement parler cette autre "bénédiction" qu'il n'avait pas choisie, elle aussi. Et il lui avait fallu bien des années pour l'apprivoiser, cette bête sauvage qui elle, indubitablement, prenait gout du premier sang versé jusqu'au dernier, ou jusqu'à l'épuisement.

Et malgré tout, il le savait, l'admettait en silence sans le clamer haut et fort: il y avait des têtes qu'il ferait volontiers tomber et sans l'ombre d'un regret, sans que son alter ego lupin n'aie a intervenir si l'occasion se présentait. 
La haine était un sentiment qu'il n'éprouvait que rarement, pour autant il ne l'éprouvait jamais qu'à moitié lorsque les raisons se présentaient. Pour faire justice, pour rétablir l'équilibre. Pour effacer sur ces visages emprunts de la laideur du vice et de la cruauté, tous ces rictus insupportables.

Et ce nom, ce mot: "Bénédiction de la Mort."
Comment la mort elle même pouvait être une bénédiction? S'il éprouvait du respect envers les Vrykuls, voire même une certaine déférence, rien ne parvenait a faire naitre en lui la certitude de mériter un tel "cadeau".

Alors il était là, toute la nuit, à attendre un signe, comme on attend l'échafaud, avec fatalisme. L'idée même de la porter le terrifiait.
Pas pour lui, non. Mais pour les autres, ses proches, ceux qu'il aimait et qu'il servait avec loyauté. Il avait peur de perdre le contrôle comme il l'avait fait quatre ans auparavant, effrayé, tétanisé, à l'idée de pouvoir nuire sans qu'il n'en soit vraiment responsable. 

Il n'avait pas dormi de la nuit, et s'était levé au petit jour, quittant son cocon au confort tout relatif pour s'isoler là où encore ses coups savaient pleuvoir sans n'atteindre personne. La forge remplaça le crayon, les coups de marteaux remplacèrent les mots, sans parvenir à vider son esprit ne serait-ce qu'une seule seconde.

Il ne lui restait plus qu'à attendre.

Furieuse, elle s'était sentie animée par la Lumière ce soir là, et jusqu'au bout elle sera restée aussi droite que possible, brûlant de Ténacité malgré la lourdeur de ses membres, laissant les autres s'occuper du rituel aux airs de ridicule.. jusqu'à ce que le destin ne vienne se moquer d'elle, ouvertement.

Pourquoi lui ? Pourquoi ? Les mots de l'esprit étaient passés d'une oreille à une autre, bien vite noyés par un torrent de rage qu'elle seule pouvait contenir, fripée et appuyée sur son grand bâton, le souffle court d'une fatigue écrasante et cette colère sourde qui ne faisait que soulever des souvenirs enfouis non loin. Une "bénédiction de la mort", vraiment..

Les dents grinçantes, c'est presque obnubilée par ses craintes et cette Lumière brûlant son coeur qu'elle aura passé tout le retour à sonder Hilliard, et une fois de plus au campement, pour s'assurer que rien n'était là, qu'aucune trace ne restait, qu'aucune.. possession n'avait eu lieu.

Et finalement toute cette fatigue et cette haine étouffante sera retombée brusquement, le poids de la soirée l'amenant bien vite à un sommeil sans rêves qui l'empêchera de participer aux activités habituelles du matin, bien contre sa volonté.

C'est à peine si elle sortira de sa tente, en milieu de journée seulement pour aller quérir sa soeur de coeur et la seule qui serait susceptible d'avoir de quoi combattre cet exact maléfice, les deux prêtresses passant un temps ensemble dans un coin de l'infirmerie. Soin lumineux, passage de crèmes en tout genre, la petite blonde se sera occupée de l'affaiblie avec attention et tendresse, la plus grande paraissant gênée malgré le sourire reconnaissant qui étirait ses joues un peu moins fripées.

Elle ira retrouver le confort silencieux de sa tente juste après.. enfin, pas pour longtemps. Ceux passant non loin pourront entendre les mélodies lentes et tranquilles comblant le vide et l'occupant une bonne partie de la journée, les accords de son luth parfois interrompus, reprit, et à un nouveau interrompus dans ce qui semblait être la composition d'une pièce originale, les oreilles les plus fines pouvant deviner la voix faible de la prêtresse couvrir quelques couplets.

Si elle avait meilleure mine, ce n'est de toute façon pas son affliction vieillissante qui semblait lui occuper l'esprit, la prêtresse bien trop angoissée par la figure éreintée se tenant debout ou presque à la forge. Elle finira par aller le voir quelques fois au moins dans l'après-midi, faisant fi de la honte et de la gêne pour s'assurer que lui tenait le coup ou lui apporter de quoi boire et grignoter, quelques brefs passages avant de retourner à sa tente pour écrire et jouer.
Il fallait bien s'occuper l'esprit.

Aucune nouvelle du sergent Boyle et de toute son escorte. En effet, la reconnaissance de l'île n'avait connu aucun retour, et par conséquent aucun rapport. Pas la moindre information sur les mercenaires ou leur état de santé. La compagnie avait pris l'habitude de recevoir les messages télépathiques de Wyatt, mais cette fois-ci, même eux manquaient. C'était donc près d'une quinzaine de mercenaire qui n'étaient pas revenu, et qui marquaient un vide conséquent au campement.


Salvador, dès l'aube, se sera chargé de réveiller ses compagnons de fortune. Brant et Casse-Pic avec lui, les trois mercenaires prendront la mer en chaloupe. Qui sait s'ils arriveraient alors à bon port.

Tôt ce matin, Salvador, Osvald et Mira seront finalement retournés au camp. Eux trois, et aucun mercenaire de plus de la précédente expédition. L'aspirant se sera entretenu un long moment avec le capitaine et le lieutenant, après quoi du mouvement aura eu lieu dans le camp.

C'est environ deux heures plus tard qu'une nouvelle troupe était formée, constituée d'une dizaine de mercenaire en tout, comprenant les chamans, la précédente équipe citée plus tôt, une demi-douzaine d'autres mercenaires en renfort, mais également Sednarri Frapperouge, et la délicieuse Loupiote Hyperfuse.

C'est par les flots qu'ils disparaitront alors, en route vers de nouveaux horizons.