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 La fosse aux serpents

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Arelos
Ancien
Arelos


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MessageSujet: La fosse aux serpents   La fosse aux serpents EmptyJeu 19 Nov - 0:37

Citation :
Anaconis Crochesoleil
1 place d’Anasterian
Domaine de Crochesoleil
Bois des Chants-éternels
Itherion Tintebrise
13 rue des Tréants
La Bourse Royale
Lune d’Argent

Très cher,


Avant toute chose, j’aimerais réitérer mes vœux d’amitié et vous assurer que la maison Crochesoleil, dont j’ai la charge depuis quelques décennies, n’a aucunement pris ombrage de l’affront qu’elle a récemment subi, lorsque mes deux fils ont été refoulés aux portes du grand conseil annuel, que vous présidiez. Bien sûr, la justice du Roi a d’ores et déjà tranché sur cette regrettable méprise car, enfin, qui aurait cru que vous prêteriez du crédit aux détracteurs : imagineriez que je cherchais à vous évincer. S’il est vrai que notre réputation n’est pas des plus reluisantes, sachez que nous tenons surtout à l’ordre, et à l’harmonie, surtout à ce que l’assemblée ne souffre pas des intérêts personnels et des rivalités mortifères. Je ne tiens pas à jeter la pierre, ayant appris de mes prédécesseurs à demeurer neutre et imperturbable en toute circonstance, et je souhaite de tout cœur changer l’image que vous vous êtes faits de ma triste personne. Voilà pourquoi je vous adresse cette lettre aujourd’hui, en guise d’invitation.

J’organise un grand banquet pour l’équinoxe en ma citadelle : à la troisième lunaison, et vous n’êtes pas sans savoir que nos portes sont rarement ouvertes au public. Vous y êtes convié, ainsi que d’autres représentants de la chambre des seigneurs forestiers.

En l’espoir de vous rencontrer prochainement, veuillez agréer l’expression de mes plus respectueuses salutations.

« Frappez, nous mordrons. »

Anaconis Crochesoleil
Seigneur de Crochesoleil sous Séléné

La fosse aux serpents Cachet11


Citation :
Nous sommes arrivés aux frontières du domaine : une presqu’île sur la rive est du royaume, à l’ombre épaisse des séquoias éclipsant toute lumière, loin des platanes et des allées immaculées des Chants-éternels. Une petite troupe de soldats attendent à la lisière et viennent nous saluer. Je vois mes compagnons descendre de leurs montures, et fais de même par respect pour nos hôtes. J’en profite pour les dévisager, maintenant qu’ils nous font face. Je n’ai jamais aimé ces gens, d’aussi loin que je me souvienne, et mes parents m’avaient déjà appris à les détester avant que je ne les rencontre pour la première fois. Une simple discussion avec leur seigneur m’avait plongé dans un profond état de malaise, berçant dans les faux semblants et l’odeur âpre des parfums de rose et de jasmin dont il se badigeonnait outrageusement, comme pour en dissimuler un autre. Je reconnais ses traits en eux ; la même barbiche noire teinte de violet à son extrémité, et les mêmes yeux en amande, presque bridés, qui donnent l’impression dérangeante d’être toujours fermés. Voilà donc ses deux fils :

- Je ne vois pas  Anaconis, m’enquis-je soudainement, nous pensions que le maître des lieux viendrait en personne accueillir ses invités.
- Notre père est très occupé par l’organisation des festivités, il nous a demandé de nous charger de vous escorter jusqu’à la citadelle. Vous comprenez, Crochesoleil est une région un peu particulière : la nature y est encore très sauvage.

A cette remarque, je regarde autour de moi : des lianes se balancent en s’entortillant, les rayons du Soleil traversent difficilement l’enchevêtrement des conifères au-dessus, et un vent glacial me parcourt l’échine, un frisson de mort que je crois être une prémonition. Quelque chose me dérange aussi dans l’expression moqueuse des fils aînés d’Anaconis, leurs sourires de façade et les nombreuses armes blanches qui trônent à leurs ceintures. Je connaissais déjà la réputation du domaine et sa faune dangereuse, mais nous avons tous suivi une formation de forestiers parmi les nombreux invités. La route sinueuse ne semble pas avoir de fin, et la montagne perçant les nuée paraît toujours aussi éloignée. Nous tournons autour depuis des heures. Finalement, les murs gris de la forteresse apparaissent dans toute leur austérité, et le pont-levis encadré par des statues humanoïdes à tête de serpent et aux yeux sertis d’émeraudes à l’éclat lui aussi inquiétant.

Il y a déjà du monde à l’intérieur ; des gens venus des quatre coins du royaume, de toutes les classes sociales, sûrement des sympathisants des suzerains locaux, des parents éloignés ou d’autres nobles conviés pour le banquet aussi fastueux qu’il m’a été présenté. Des feuilles mortes, rouges et brunes, décorent les tables en roche noire volcanique, et aux plateaux de marbre, face à une scène surélevée dont les rideaux bordeaux gardent le secret des spectacles à venir. Tout dans les installations et les couleurs rappelle la saison automnale, paradoxalement, qui ne tombe jamais sur cette région du monde comme bénie par les émanations du Puits. D’ailleurs l’intérêt d’Anaconis pour l’équinoxe m’avait aussi surpris à la lecture de sa lettre, dans la mesure où les heures ne changent jamais ici. Parmi les autres convives, j’aperçois un prêtre en robe blanche parcourue d’arabesques dorés qui me rappellent également le luxe et l’opulence de la capitale. Cette citadelle ne tient pas vraiment la comparaison quant à elle : un assemblage de blocs et de créneaux semblant provenir d’une époque reculée, des bustes en bronze aux airs lascifs sinon parfaitement impassibles et un palais assez haut pour jeter une ombre effrayante sur la place principale où nous nous tenons, sans la moindre trace de civils.


Les deux fils s’éloignent de notre groupe après nous avoir installés à la même table, juste au pied de l’estrade, et les lanternes enchantées s’éteignent, plongeant l’assemblée dans l’obscurité, tandis que des sons de flûtes et de trompettes proviennent de tous les côtés. Les rideaux s’écartent sur un soleil, illuminant la scène et une immense amphore d’où émerge la silhouette du seigneur, vêtu de sous-vêtements féminins et maquillé de la même façon, couronné d’un diadème argenté serti de joyaux merveilleux à la forme d’un anneau ophidien, les lèvres bleues et le torse recouvert d’écailles de toutes les couleurs, écartant immédiatement l’image sérieuse de la forteresse à la faveur des somptueux banquets thalassiens. Des danseurs jaillissent à sa gauche, alors qu’il lève les bras et commence à sautiller ; d’autres elfes travestis à sa droite, qui se mettent à chanter au rythme des sifflements et suivant les ondulations indécentes du suzerain. J’entends un homme parler derrière-moi :

- Les danseurs sont incroyables, mais le seigneur Anaconis est encore plus formidable, quelle chance nous avons !
Un autre :
- Je me demande lequel de ses favoris va recevoir le mouchoir aujourd’hui, croyez-vous qu’il choisirait un étranger ?

Le prêtre ne semble pas dérangé par l’étalement des richesses, encore moins par l’aspect luxurieux donné à la pièce. Son regard est sombre, critique mais pas surpris. Certains s’en plaignent, mais les murmures sont élogieux pour la plupart, à l’exception des gens à notre table, aussi scandalisés que je suis embarrassé. Les danseurs tendent une jarre au seigneur qui y plonge une main et en sort des pièces pour les jeter sur les spectateurs. Elles suintent de graisse et de stupre. Je n’ose même pas en attraper une. Les voix s’élèvent en faveur du beau prince et des richesses qu’il fait pleuvoir sur elles : rondes et chatoyantes comme les paillettes chromées de leur généreux donateur. Des statues de serpents jaillissent des planches de la scène, sur lesquelles il monte et, continuant d’agiter les bras frénétiquement, envoie des baisers furtifs aux travestis qui rampent au-dessous dans l’espoir de pouvoir seulement le toucher, caresser ses muscles secs de forestier endurci, et se fondre entiers dans la ronde pulpeuse de ses lèvres, étirées à tel point qu’elles déforment ses joues.

Lorsque la parade s’achève, il descend de sa monture immobile et s’incline de tout son long en embrassant de plus belle les spectateurs, et les remerciant d'un geste de la main. Les applaudissements font suite à l’extinction des trompettes et les lanternes éclairent de nouveau les tables, miraculeusement couvertes de mets délicats : des grappes de raisin, des grillades à l’odeur succulente et des petits animaux en pâte d’amande. Le vin coule à flot dans les verres en cristal, le temps qu’Anaconis quitte son perchoir et s’enveloppe dans une longue robe aux motifs solaires tout aussi importants que le serpent d’or de ses armoiries, flottant fièrement au sommet du manoir. Il s’installe à côté de nous et demande si nous avons apprécié sa « petite sauterie ». Je n’ose pas lui répondre, entre les balbutiements gênés de mes voisins, et me rappelle enfin pourquoi cet individu m’a toujours révulsé, plus qu’une peste insidieuse, plus encore qu’un brigand humain ou qu’un intriguant manipulateur ; tout en lui transpire la perfidie, et le calme olympien avec lequel il travaille nos nerfs me donne la nausée.


Alors que la soirée bat son plein : que les harpistes succèdent aux évocations tragiques et aux mystères, un cri retentit dans la foule.


Dernière édition par Arelos le Jeu 19 Nov - 21:53, édité 1 fois
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Arelos
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MessageSujet: Re: La fosse aux serpents   La fosse aux serpents EmptyJeu 19 Nov - 21:50

Citation :
Quelques minutes plus tôt


Anaconis est encore entouré d’admirateurs qui lui baisent les mains, les pieds ; et lui-même sourit en appliquant son empreinte mauve sur leurs cous frissonnants. Quelquefois il en désigne un du doigt qui vient lui faire des petites courbettes et repart en sautillant et roucoulant. Il s’approche de la table et me tend son verre avec un rictus, largement obséquieux, que je prends pour une nouvelle provocation. Je le sers sans oser croiser son regard, de peur qu’il ne s’aperçoive de mon malaise. Un moment installé, face à moi, ses jambes délicatement croisées, il se redresse régulièrement pour saluer un de ses favoris, sans jamais toucher à son verre, préférant leur en faire boire quelques gorgées pour y mélanger leurs salives dans une conception presque alchimique du banquet : entremêlement des saveurs, des fluides vitaux et des silences débauchés. D’ailleurs, les lèvres se joignent à côté ; l’enivrement progressif se propage comme une germe cancéreuse dans la foule. La voix toute modulée du seigneur irrite mes tympans sans que j’arrive à mes l’expliquer : tantôt fluette, tantôt grave et autoritaire, de même que ses rires cristallins.

- Qu’avez-vous pensé de ma petite sauterie ? m’interroge-t-il, mes chéris se sont donnés tant de mal pour ne pas me faire de l’ombre, j’aimerais les remercier comme il se doit. Je vois que vous n’avez pas touché à vos saucisses.

Cherchant un prétexte à mon absence d’appétit, devant la profusion de plats aux fumets enchanteurs et de desserts, tous plus gourmands les uns que les autres, je bégaye sans jamais lui répondre. Il s’en amuse, malgré son air déconfit, je l’entends encore rire, à l’intérieur, jubiler de ce que l’écœurement m’inspire et m’empêche de prendre le moindre plaisir dans cette soirée. Enroulé dans ses soieries aux motifs reptiliens, il n’a pas retiré son maquillage et son soutien-gorge en argent massif, ni couvert ses cuisses fermes, parsemées de notes scintillantes et de tatouages sinueux qui attirent invariablement les regards. Ses sourcils sont rasés et des petits grelots pendent de ses mèches noires, sous son diadème finement ciselé, et ses nombreuses parures. J’en viens à croire qu’il doit avoir du mal à se déplacer avec une telle charge, et je le plains d’avoir multiplié les attentions sans parvenir à susciter mon intérêt. Pourtant il a réussi à me faire entrer dans son jeu, sans doute. Cet être me révulse et me fascine à la fois, et je n’arrive pas non plus à me l’expliquer : ses allers retours sur la place et les innombrables distractions sur scène et à table n’arrivent pas à me le faire quitter des yeux.

Lorsque le premier cri retentit, suivi d’un second plus lourd, plus diffus, les chaises se tournent, comme une seule, vers une table isolée de la place où sont installés des jeunes hommes ; les artistes danseurs et chanteurs de tout-à-l’heure s’étant isolés du commun pour festoyer à leur tour. L’un d’eux s’est effondré en renversant son tabouret, pris de convulsions, et les autres commencent à réaliser la gravité de la situation, et à paniquer. Un travesti épouvanté court partout, entre les rangées, fend les regroupements orgiaques et bouscule des convives encore incrédules : croyant avoir affaire à une nouvelle exhibition. Ce n’est pas un jeu, cette fois. Les yeux du favori se révulsent et se remplissent de sang, pendant que la bave et les déjections écarlates en sortent par tous les orifices imaginables, dans un second mouvement. Anaconis surgit des masses pour le serrer contre son torse, et pleurer, implorer qu’on lui vienne en aide : « Il meurt, pourquoi ? Qui lui a fait ça ? Mon pauvre chéri, réveille-toi, réveille-toi je t’en prie ». Hélas, le jeune homme a déjà succombé au poison lorsqu’il le prend dans ses bras. Les gens cessent de discuter, abandonnent leurs assiettes et se rassemblent finalement autour du lieu de l’incident, interdits.

Le prêtre saisit le verre de la victime sur la table : celui que le suzerain lui a tendu plus tôt, auquel il n’a pas encore touché, et que j’ai moi-même rempli. Le poison lui était-il destiné ? J’ai bu le même vin sans m’inquiéter. Quelqu’un a forcément ajouté quelque chose entre temps, mais la coupe a tellement navigué entre les compagnons qu’il m’est impossible de les énumérer. Je peine à imaginer un autre qu’Anaconis avoir fomenté ce meurtre ; réputé pour sa maîtrise de poisons, il ne tient pas moins à ses favoris. Il n’aurait aucune raison de le tuer, aucun motif. J’entends déjà certains marmonner à son sujet, et je sens leurs regards se presser dans mon dos. A cet instant, d’autres saltimbanques et amants de Crochesoleil s’étranglent et se mettent eux aussi à se contorsionner au sol, sans que quiconque n’y puisse quelque chose. Je m’approche d’un des cadavres aux traits déformés par la douleur, et je cherche au fond de moi à réveiller cette même souffrance, espérant secrètement être aussi atteint par les toxines. Mes camarades de route s’interrogent, eux qui n’ont pas ouvert la bouche durant toute la réception et qui contemplaient, avec la même réticence, la danse libidineuse du seigneur. Celui-ci essuie ses yeux encore humides et se lève pour s’adresser à toute l’assemblée. Des forestiers, ainsi que ses deux fils, se joignent à lui. Je m’aperçois à ce moment qu’il dépasse la plupart des convives.

- Une tragédie vient d’avoir lieu, se lamente-t-il, plusieurs de mes doux amis viennent d’être cruellement empoisonnés, alors que nous profitions du banquet, quelqu’un en a profité pour verser du poison dans leur verre.
Un de ses fils :
- Le malheur est tombé sur notre maison ! Une si belle soirée, gâchée par les perfidies d’une personne, à moins qu’elle n’ait pas agi seule.

L’émotion qui traverse la foule est palpable, elle m’atteint pareillement, mais je n’en ressens pas la moindre chez lui. Ses joues brillent encore du mélange de larmes et de paillettes, et sa bouche s’arque dans une expression de souffrance qu’il transmet à tout le monde, sauf à moi qui ne suis pas dupe. Au départ, je me suis laissé amadouer par ses mimiques plaintives et l’accent suppliant de ses cris, mais il n’a pas encore abandonné son costume de clown travesti : grotesque dans le deuil comme dans l’exposition, à moins qu’il ne s’agisse encore d’une sorte de numéro tragique. Mais de qui se moque-t-il exactement ? Les chuchotements gagnent en hauteur et se fondent dans un brouhaha sourd. Mes oreilles sifflent et j’essaye tant bien que mal de me concentrer sur la courte agonie des favoris. Anaconis agite un mouchoir devant ses yeux pour les essuyer à nouveau, tapotant négligemment ses paupières et faisant tomber quelques poussières qui rehaussent l’éclat doré de sa robe. Le prêtre vient se planter à ses côtés et lui chuchote quelques paroles sibyllines, avant de revenir à sa place, quelque part ; sous les murailles de la forteresse dont la beauté tient vraiment de l’accident. Après quoi, le suzerain se fend d’une risette enfantine et fait signe aux invités de faire silence avant de reprendre :

-  Mes amis, soyez rassurés, enchaîne-t-il sans rien laisser paraître de son désespoir, il se pourrait que nous ayons trouvé le coupable de cette immondice, ainsi que ses complices.

Avant que j’aie pu faire un pas en arrière, des mains me saisissent à la taille et plaquent une dague sur ma gorge. Je me fige aussitôt et regarde autour de moi : les convives sourient à pleines dents, les femmes agitent leurs éventails en écailles et les hommes suppurent la démence et l’agressivité contenue. L’exhibition et la bacchanale ne leur ont donc pas suffi. Les gens d’ici ont besoin de sang pour satisfaire leurs pulsions malsaines. Face à ces pulsions, la peur n’a plus aucune importance. Personne ne semble plus se soucier des victimes, gisant tristement à l’exact emplacement où elles se sont effondrées, même les gens qui ont réagi dès le départ trépignent d’impatience. Qu’attendent-ils exactement ? A l’exception de mes accompagnateurs, tout le monde semble s’être libéré du poids des images. D’autres forestiers s’extirpent de la foule hilare, tenant sous leur joug mes camarades impuissants. L’un d’entre-eux serait responsable de la débâcle que je ne m’en soucierais pas, en fait, je n’arrive toujours pas à m’écarter des frasques et des grands gestes du seigneur qui commande aux elfes de nous rassembler et de nous attacher à un poteau, juste en face de l’église du village.

On jette un voile sur mon visage et un coup sur mon crâne fait tout partir en vrille : les souvenirs du spectacle et le carnage des prétendants.
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MessageSujet: Re: La fosse aux serpents   La fosse aux serpents EmptyDim 22 Nov - 14:45

Citation :
Nous sommes collés les uns aux autres, assis sur un siège en bois au milieu d’une petite arène qui ne semble pas avoir été aménagée ni même utilisée depuis longtemps, peut-être avant l’arrivée des elfes dans cette région, vide. Les gradins sont remplis quant à eux : les convives s’y sont rassemblés et jettent des restes de nourriture, des os et des fruits ramassés à la hâte sur les tables du banquet. L’instigateur se tient sur un trône de marbre au-dessus des marches, ses fils et ses filles à ses côtés, isolés du reste de l’assemblée. Les discussions s'entremêlent dans un brouhaha festif qu’on croirait inconscient de la situation. Je me demande même s’il ne s’agit pas d’une farce, si tout ceci n’est pas seulement une vaste blague visant à nous ridiculiser. Je cherche à m’en persuader comme pour le poison, parce que cela m’aide à mieux me sentir. J’ai l’habitude du danger et d’être en permanence aux aguets, des nombreuses menaces du front, mais je n’imaginais pas un instant être piégé de cette manière. Je connais la folie des fêtes à Lune d’Argent, l’excès et l’opulence, l’opium et les comas éthyliques, mais leur comportement est sans commune mesure. Le suzerain se lève en s’apercevant que nous sommes tous réveillés, et intime le silence à la foule.

- Cette conduite est indigne d’un seigneur forestier, Anaconis, descendez de votre estrade et venez plutôt vous battre : lâche !
Et lui, amusé :
- Me couvrir de sang serait malvenu. Aujourd’hui est un jour particulier, voyez-vous, c’est la journée du Serpent. A cette période de l’année, mes prédécesseurs offraient un animal en offrande aux enfants du premier des serpents à avoir foulé cette île.

Il dit et siffle entre ses doigts. Je m’aperçois qu’il a pris le temps de se changer depuis la dernière fois. Une armure d’écailles vertes lui recouvre le torse et les jambes, aussi frappée de ses armoiries, et ses cheveux noirs lui encadrent le visage, dont je ne saurais dire s’il est toujours maquillé à cette distance. Je sais seulement qu’il me sourit, comme toujours, mais pas empreint d'une moquerie espiègle ou d’une haine vengeresse ; plutôt d’une rage carnassière, la même qui semblait animer les fêtards et qui caractérise bien sa position. Combien de temps suis-je resté dans le coma ? Ils ne me laisseront pas longtemps y réfléchir. Des grilles aux extrémités de l’arène circulaire s’ouvrent, et j’entends des sifflements, des sonnettes, des mouvements sur le sable provenant des cages. Mes compagnons se concertent et s’écartent les uns des autres. Nous n’avons aucun accès aux gradins, et aucune arme pour nous défendre. Heureusement, ils ont eu la présence d’esprit de nous détacher avant de nous lâcher dans cette fosse.

Des dizaines d’espèces différentes d’aspics et de crotales, de toutes les couleurs, sortent des ouvertures et sinuent jusqu’à nous, se dispersant en pénétrant dans l’enceinte pour nous encercler. Il n’y a déjà plus une seule échappatoire. J’admire le spectacle comme si j’en étais un spectateur, cherchant à m’échapper mentalement des carnages à venir : j’échoue en cela. La nuit commence à tomber, et l’ombre de la montagne s’étend jusqu’à nous pour empêcher de bien voir les reptiles progresser. Leurs yeux luisent et se confondent, leurs écailles s’entrechoquent, leurs crocs s’ouvrent et se ferment, leurs queues s’agitent pour certains, et produisent un bruit de hochet qui me rappelle la petite enfance, et autant la cruauté dont j’étais capable à cette période de ma vie. Elle s’étiole pareillement, et tout m’échappe. Je ne vois plus mes compagnons qui se sont éloignés vers les murs pour tenter de les escalader. Les convives recommencent à hurler et à nous insulter ; je me doute qu’ils ne nous laisseront pas les rejoindre. La voix d’Anaconis sonne mieux que les autres, amplifiée par les sifflements dont elle semble être l’écho direct ou l’amplificateur.

- Je vous avais promis un spectacle inoubliable, s’exclame-t-il d'une voix égale, voici que sonne le glas de nos offenseurs. Honorez-les autant qu’ils vous détestent.
J’explose :
- C’est de la folie ! Le roi aura vent de ce que vous avez fait ici, et vous serez déchu de votre rang ainsi que de vos privilèges. Il ne restera bientôt plus rien de ce domaine et de vos amis dégénérés. Vous ne méritez plus d’être appelé seigneur.

Il se moque de moi. Son rire retentit et encombre mes oreilles. Je n’entends plus rien d’autre que ses paroles, et je ne sens plus rien d’autre que l’odeur de sexe et de fleurs sauvages dont il est naturellement imprégné. Même les cris de mes amis ne me parviennent pas dans la cacophonie diffuse, désagréable, dont j’essaye de faire abstraction. En fait, il se moque bien des conséquences de ses actes. Les critiques lui glissent dessus et j’en viens à supposer qu’il se fiche complètement de l’« outrage » dont il prétendait être victime. Toute cette mascarade n’est qu’un prétexte au grand spectacle. Sans le discerner dans la masse grouillante et les ombres qui ont envahi les gradins, j’arrive à lire dans ses pensées, à deviner ses gestes et sa manière de haranguer la foule ; agitant les bras et jetant à son tour des fruits et des sucreries auxquelles nous n’avions pas touchées. Je reste au milieu : immobile, sentant l’étreinte glacée de la mort. Elle glisse sur mon dos, sur ma peau, mes poils se hérissent, mais je tiens bon. Mon calme impérieux, emprunté à cet homme, paraît dissimuler ma présence aux reptiles qui se dirigent plus volontiers vers les autres d’ores et déjà envahis, enroulés dans les anneaux multiples au point de ne plus ressembler qu’à des amas de chair étranglés dont les hurlements terrifiés sont aussitôt étouffés, et ne sont que joués par les spectateurs vociférant au-dessus de nous.

La transpiration rend mes mains moites et mes jambes commencent à trembler. J’ai peur. La peur me donne la force de survivre. Lorsque je sens une forme se faufiler entre mes jambes, je l’attrape et je la brise sur mon genou avant de l’envoyer plus loin où les serpents se dirigent pour se repaître des restes. Nous sommes tous des cannibales, nous qui aimons tuer et faire souffrir notre prochain, nous pourrions aussi bien le dévorer. Je lance un regard de défi à l’emplacement précédent du suzerain, supposant, peut-être dans une volonté de défi, qu’il me regarde faire et s’inquiète de ma hardiesse. Je suis immédiatement rattrapé par la réalité, et son rire recommence à résonner dans ma tête. Au contraire, il se complaît dans ma lutte : il apprécie de me voir combattre et tout entreprendre pour survivre. Il est un guerrier, comme moi, il a connu la guerre et les champs de bataille, comme moi, il a affronté des périls autrement plus terribles et respecte uniquement l’instinct qui m’anime en cet instant. A côté de cela, mes camarades ne sont plus que des enfants livrés à une mort certaine dont la seule véritable utilité réside dans ce que leur trépas m'inspire.

Puis, je commence à m’épuiser, mes muscles s’engourdissent à force de saisir et frapper les écailles froides des reptiles. Mes mains s’y sont écorchées et, tâchant de les essuyer sur mes vêtements, je m’enduis de sang qui ne manque pas d’attirer mes adversaires. Rouge, je le suis aussi de rage à présent que le bout du tunnel m’apparaît et que le phénix s’envole loin de moi, en un lieu que je ne peux atteindre autrement qu’en rêve. Les rêves ne m’atteignent plus, d’ailleurs, je me demande si je rêverai au moment de trépasser, ou si l’obscurité impénétrable qui se dresse sous mes yeux reviendra aussitôt ceux-ci fermés pour toujours. Comme je suis seul dans l’arène et que des boas se font un festin des membres enfouis de mes camarades, le reste des serpents me toisent et tapissent le plancher, sans un bruit, ils montent le long de mes chevilles, de mes cuisses, dissimulant parfaitement le sable. Il noircit à vue d’œil, recouvrant mon ombre et s’il n’y avait eu un léger scintillement, et la lueur bestiale des créatures, je me serais déjà cru plongé dans les ténèbres.

Pendant que je me débats et que les crochets se referment sur mes épaules nues j’aperçois, dans un éclair, cette jeune fille, aux cotés du seigneur, qui le supplie de tout arrêter.
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