Les chaînes du sorcier.

Dans les abysses du Caveau.

Les cris, les visages, l’odeur, la peur…

Il fait froid… Les pavés son gelés sous mes pieds nus. Les chaînes qui maintiennent mes poignets, mes chevilles ainsi que ma nuque le sont aussi. Dans la pénombre du caveau, j’arrive à distinguer des grincements gutturaux, mais rien de très… Humain.

« Faites en sorte qu’il ne bouge plus du tout. »

Le bruit d’une porte en acier qu’on ouvre se fait entendre. C’est ici… L’endroit où je vais vivre pendant quinze ans. Ils sanglent chaque partie de mon corps aux murs de la cellule, et maintiennent ma tête baissée vers le sol, serrant le plus possible pour qu’aucun de mes mouvements ne soit possible. Je suis sensé ne rien sentir et pourtant j’ai froid. La porte se referme, et là commence les plus longues années de ma vie.

Je n’arrive pas à dormir. A chaque fois que je ferme les yeux j’entend leurs cris. Les deux derniers qu’ils ont poussés. Les regrets montent, la peur aussi… J’ai le sentiment qu’ils sont à côté de moi, complètement brûlés. J’ai l’impression de sentir l’odeur de la chair carbonisée en permanence. C’est tout ce que je mérite. Les cris, les visages, l’odeur, la peur… Un cercle.

J’entend, c’est bien tout ce que je peux faire. Il y a des hurlements, des voix monstrueuses, des alarmes… Que fais-je ici ? On m’avait déjà parlé du Caveau. Un fort dans une fort, protégé par d’innombrables gardes armés jusqu’aux dents, ainsi que par des mages. Ce qu’il y avait à l’intérieur restait tout de même un mystère pour ceux qui n’y étaient jamais allés. Mais avec les discussions des hommes, qui passaient non loin de ma cellule, j’ai rapidement compris.

Depuis combien de temps suis-je ici ? Je pense un mois, tout au plus. Je n’ai pas la notion du temps. Quand on m’a enfermé il y avait une guerre qui c’était lancée contre la horde de fer. Le portail des Terres Foudroyées avait été activé à nouveau, et une alliance a été faite entre les deux factions. Mais c’est tout de même étrange… Les gardes parlent d’attaques de démons. Je les entends paniquer au sujet de la Légion Ardente. Auraient-ils profité de l’absence de nos héros pour fondre sur Azeroth ? Probable.

Le temps passe et les bruits sont toujours les mêmes… Ah ce qu’il fait froid dans ce Caveau. Les gardes qui passent me parlent parfois. Le Caporal Durandal surtout. Il me rappelle souvent le temps que je vais passer ici, ce que j’ai fait, C’est apaisant, rassurant. Au moins je suis sûr qu’à ma libération il restera des choses que je connaissais d’avant.

Il était assis devant moi, en train de peler son orange. Durandal enfila ensuite un quartier au bout de sa lame et le déposa dans sa bouche. Je l’entendais macher bruyamment, comme presque tous les jours. Je lui avais déjà demandé si je pouvais en avoir un morceau, il n’avait même pas daigné répondre. Puis vint la question fatidique :

« Caporal ? Depuis combien de temps suis-je ici ? »

Je l’entends avaler son morceau.

« Tu n’as pas jugé bon de me la poser depuis tout ce temps ? »

Je tique légèrement. Que veut-il dire ? On ne parle que depuis quelques jours, tout au plus.

« Développez. »

« Tu es ici depuis trois ans, Dereck. Et ça va bientôt faire deux ans que nous discutons presque tous les jours. »

Mon cœur se serre. J’ai envie de vomir. Je panique. Je tremble. Mon esprit part en vrille. J’entend crépiter autour de moi, puis je m’endors, net. Lorsque je me réveille, c’est la voix du Caporal que j’entends.

« Tu te sens mieux ? »

« Oui… »

« Dereck. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne c’est que tu sors. La mauvaise c’est que tu vas aller te battre pour l’Alliance. Tu pars avec la division pénitentiaire pour l’ancien territoire de Lordaeron. »

Je pris une grande inspiration. Après tout ça faisait déjà trois ans. Le monde avait peut-être changé du tout au tout. Pourquoi pas.

« C’est compris. »

J’ai donc attendu. Toujours les mêmes idées noires qui font des boucles. Les cris, les visages, l’odeur, la peur… Mais quelque chose avait changé. Comme si les deux esprits qui ne me lâchaient pas, commençaient à me voir d’un autre œil. C’était peut-être ça. Il fallait que je me rende utile pour l’Alliance. Pour protéger ceux qu’ils ont aimés de la guerre et de la mort.
Des pas lourds vinrent me tirer de ma torpeur macabre. Et j’entendit une voix, de femme. Elle est ferme, elle s’adresse comme si elle était Reine auprès du Caporal.

« Détachez-le, et injectez-lui une seringue. On embarque ce chien. »

Un soldat s’approche, puis le néant. Seulement les cris, les visages, l’odeur, la peur…

Je prends une grande inspiration, ouvrant les yeux. Je sens mon cœur qui bat la chamade, ma vision est trouble, et j’ai des difficultés à comprendre ce qu’il se passe. En fait je ne sais même pas où je suis.

« Il est réveillé ? Parfait, qu’il commence. »

C’est la voix de la même femme qui parlait mal au Caporal, je la reconnais.

« Aller Ravenloft, bouge ton cul et fais ton boulot. » tonne une voix d’homme juste derrière moi.

On me pousse vers l’avant, et j’entend une serrure qui se déverrouille. Mes chaînes sont enfin détachées, je suis libre de mes mouvements. On me tourne alors dans un sens, et je comprends ce qu’il se passe. Les ruines de Lordaeron apparaissent face à moi, des bannières rouges marquées du symbole de la Horde volent dans le ciel, et en face je vois une armée de trolls, d’orcs, de réprouvés et j’en passe. Les deux armées de regardent, puis les cors sonnent, et les bruits des boucliers et des lames commencent à se faire entendre. Un éclair frappe devant nous et le garde derrière me pousse un grand coup.

« Bordel ! Fais ce qu’on te demande ! »

J’incante, puis j’envoie une boule de feu vers un chaman qui la prend en pleine tête. Puis tout s’emballe. La drogue pousse mon corps à un effort mental et physique que je n’avais jamais atteint. J’enchaine des créations pyrotechniques qui fusent vers nos ennemis. Puis un météore éclate sur le sol, emportant une dizaine de soldats adverses à l’arrière. Une flèche part et se plante dans mon épaule. Je ne la remarque même pas. Mes sorts se créent, puis partent, tandis que mon mana quitte lentement mon corps.
Finalement, le mana se fait manquant, et mes sorts manquent en intensité, ou sont inexistants.

« Il ne nous sert plus à rien, injectez. »

Le soldat qui me surveillait s’approche, puis le noir.
Je m’attendais complètement à me réveiller en geôles, mais c’était totalement différent. Lorsque j’ai ouvert les yeux, j’étais dans un endroit magnifique ! Des terrains verts, couverts d’arbres.

« Tu sais ce que tu as à faire, Ravenloft. »

En fait non, j’en avais aucune idée. J’étais dans le même état qu’aux ruines de Lordaeron. Complètement drogué ! On me retourne et je vois des bannières de la horde. Je n’hésite pas une seconde, j’envoie une boule de feu. Elle fauche un orc qui frappait ses haches entre elles. Celui juste à côté le regarde, puis me regarde, puis le regarde et ainsi de suite… Jusqu’à ce qu’il hurle en ma direction, et que tous commencent à courir dans notre direction. Je panique. Un météore se crée au dessus d’eux et s’écrase sur leur première ligne. Mais ils sont trop, et ils se rapprochent à grande vitesse.
En fait je n’avais pas remarqué, mais je n’étais pas seul. Des soldats de l’Alliance ainsi que d’autres avec une bannière verte étaient à mes côtés. Ils regardaient ce que je faisais avec attention, puis l’un d’entre eux gueula :

« Aller ! On y va ! »

Ce hurlement avait signé le début du combat pour nos forces qui se ruèrent sur la horde. Le choc fut d’une violence sans nom, les bruits de lames qui frappaient les armures retentissaient dans la vallée. Un éclair vint frapper un de nos soldats de plein fouet qui s’écroula au sol.

« Un chaman ! Ravenloft, aligne-le ! »

Une explosion pyrotechnique apparut entre mes mains, et elle fusa vers le troll lanceur de sort. Sous la drogue, je n’avais pas calculé la puissance que j’avais canalisé dans cette boule, et l’explosion fut énorme. Même si je n’avais pas bien visé, le troll fut soufflé et s’écrasa par terre, complètement brûlé.
Lorsque mon mana fut à court, j’entendis la voix de la femme.

« Injectez-le. »

Les pas, puis le vide.