Nouveau départ

Logan portait bien le tabard de la Rétribution à leur retour à Hurlevent, et ce pour quelques jours encore. Et bien qu'il se savait libéré prochainement, le tissu blanc et noir n'avait pourtant jamais été si lourd à porter. La vie de mercenaire qu'il avait embrassé avait été si courte au final, bien vite c'est elle qui l'avait enchaîné.

D'abord armé d'un fusil, il avait empoigné sa bâtarde pour renforcer la ligne en Norfendre lorsque ses rangs étaient les plus dégarnis pour finalement ne jamais la quitter. En Pandarie, sa main n'avait jamais tremblé : que ce soit face aux Dao, aux yaungols, aux mercenaires ou au mort-vivants, il avait tenu. Même lors de sa première confrontation avec Manfred tandis que son officier gisait au sol, il était resté droit et l'avait tué, une première fois.

Puis vint Orneval, étrange, hors du temps. Mais maintenant, il menait les hommes à la bataille, il était leur sergent. L'horreur de Sombrivage, la peur pour sa famille à Teldrassil. Les blessés par dizaines. Le poids du commandement, déjà, tandis que son lieutenant blessé combattait un destin trop grand. Tiragarde et les machinations des Corsandres.

Drustvar. Les portes de l'enfer. Cette bâtisse piégée ou la peste menaçait de la étouffer. Le duel avec Sha'kar et la mort de ce dernier. La mort du lieutenant Shelton. Le doute, déjà présent au sein de la compagnie, s'était répandu comme une traînée de poudre. Les mercenaires étaient incertains, paniqués. Et c'était à lui dorénavant de les inspirer, de leur montrer que ce n'était pas la fin, qu'il y avait encore une chance.

Vol'dun en avait décidé autrement, scellant son destin. Baron désintégré et de Kessenart inapte, Aubelame déjà tiraillée et Dupe-Cendre sur le départ...

Il serait seul.

Chantorage, l'avant goût du carnage. La guerre semblait si simple, si commune en comparaison du reste. La fin arriverait bientôt.

La Cathédrale des Murmures. Jamais il ne pensait en ressortir. Il était certain que son premier et dernier acte en tant que lieutenant serait de mener ses hommes à une fin certaine. Avec peut-être la victoire au bout du tunnel, et encore il n'osait y croire. Pourtant, ils avaient vaincu et quoi que changé à jamais, il était des rares miraculés.
La campagne des îles et du Cartel avait semblé si triviale en comparaison.

La prison avait tant été celle de leurs prisonniers que la leur, si ce n'est plus. Prisonniers des intrigues, de la bureaucratie. Murés dans le silence, sans informations de l'extérieur et encore le Vide pour ennemi. Et finalement, Vaillance.

Vaillance, un contrat classique en apparence, rien qu'ils n'avaient jamais vu par le passé. Mais cet être capricieux qu'est le destin, sachant sans doute qu'il s'agissait de sa dernière campagne, avait choisi de dégainer son plus beau doigt d'honneur à la face du Lieutenant Grant.

L'idée avait germé après leur premier échec à la Pierre Bleue. Que c'était enfin la fin du voyage et ce malgré les sentiments naissant qu'il éprouvait pour une certaine guerrière, à qui il refusait de se confier pour ne pas l'accabler lorsqu’il ne serait plus là. Alors, il avait écrit. Une lettre pour chaque mercenaire ou presque. Les mots qu'il ne pourrait jamais leur dire.

Et le soir, avant d'entrer dans la crypte il avait tout confié à l'intendance, en paix avec son destin. Pas ravi, mais il se faisait suffisamment confiance pour savoir que s’il tombait, se serait en sauvant ses hommes et en emportant autant d’ennemis que possible. Et Emmet avait montré l’exemple alors… Il avait frappé. Il avait frappé malgré son bras en feu, hurlant de douleur sous la malédiction d’agonie. Il avait frappé malgré ses sens engourdis par le seconde affliction. Il avait frappé malgré ses innombrables blessures, malgré sa vision se brouillant. Il avait fait ses adieux, transmis le flambeau.
L’Archimaîtresse était proche. S’il avait eu la force de sourire, il l’aurait sans doute fait. Au moins aurait-il eu la satisfaction d’avoir fait rempart jusqu’à la toute fin.

Mais finalement, le destin avait été clément.

Et aujourd’hui il déambulait dans les rues de la capitale, qui lui serait bientôt familière. Libre du tabard blanc et noir et pourtant éternellement enchaîné à ce dernier. Jamais il ne cesserait d’être inquiet pour Tanja, pour Alieg. Jamais il ne cesserait de se sentir coupable d’ainsi abandonner Briséïs et les autres. Ce n’était pas seulement ses hommes. C’était ses frères et sœurs d’armes, sa famille. Il avait saigné avec eux, rit avec eux, pleuré avec eux. Peut-être ne faisait-il que troquer un mal pour un autre mais… Il lui fallait penser à lui.

Trop longtemps il avait été le Sergent Grant, l’Adjudant Grant puis simplement « Le Lieutenant ». Depuis quand n’avait il pas été Logan, tout simplement ? Même lui des fois s’y perdait, doutait. Mais enfin, enfin après tout ce temps, il avait un avenir. Pas sans embûches, pas sans frayeurs. Mais il y en avait un, hors de la Rétribution.

S’arrêtant après son dixième tour autour de la cathédrale, il marmonna dans sa barbe.

« J’aurais dû lui demander où habitaient ses parents. »