Rumeurs de la compagnie

L'ex-écuyer s'était attelé à sa tâche la semaine dernière assez diligence. Dire qu'il le faisait de gaieté de coeur serait mentir, il semblait la tâche particulièrement avilissante et pénible, mais après tout c'était l'objectif d'une punition. S'occuper ainsi des latrines lui aura prit un certain temps et être enfin débarrassé de cette tache au début de la nouvelle semaine aura visiblement été un soulagement. Il revint à des occupations plus habituelles comme la méditation, la lecture, les entrainements habituels, ou simplement la sociabilisation avec quelques autres mercenaires. Moins qu'avant cela dit, le quasi-paladin commençait clairement à en avoir marre de Feralas et était plus régulièrement d'humeur maussade.
Du reste il était toujours privé de son épée, et bien qu'il évitait de trop le montrer, c'était quelque chose qui l'agaçait assez sérieusement.

Qu'est-ce que je fous là. Qu'est-ce que je fous là. Qu'est-ce que je fous là.

Qu'est-ce. Que. Je. Fous. Là.

Cette phrase résonnait en boucle dans la tête de Jeffrey, cloué sur son lit d'infirmerie, alors qu'il scrutait ce qui se trouvait autour de lui. Il avait chaud, terriblement chaud, engoncé dans son armure. Son front ruisselait de gouttelettes brûlantes glissant mollement vers sa tempe, pour tout à coup dégringoler le long de celle-ci et venir s'écraser dans sa nuque, rejoignant sa tignasse humide, et trempant davantage encore son oreiller baigné de sueur. Lentement, il répéta le même geste qu'il répétait inlassablement depuis qu'on l'avait déposé sur ce lit sans lui adresser un mot, levant le bras pour l'approcher de son visage.

Chair calcinée. Tapisserie de mauvais goût où la peau noircie par les flammes forme un parchemin troué de bulles rougeâtres desquelles suinte la chair à vif, comme pour se détacher de cette carcasse défraîchie. A la place de ses doigts ne pointent que de maigres osselets noircis, témoins du passage des flammes sur cette main à demi-carbonisée.

Fermer les yeux, inspirer lentement. Les rouvrir.

Il commençait à saisir le truc.

A la place de ce funeste tableau, sa main tremblante et intacte au dessus de son visage, se posant sur son front pour en chasser les gouttelettes. C'était l'une des seules choses qu'il avait fini par comprendre des bribes de conversations entendues autour de son lit, à défaut d'avoir reçu la moindre explication sur ce qui s'était passé ce soir : ce qu'il avait vécu, lui, n'avait jamais eu lieu. Les flammes le consumant lentement, dévorant chaque parcelle de son corps, petit à petit, alors qu'il se débattait en vain. Les cadavres entassés autour de lui. Le son de sa propre voix qui lui paraissait étrangère, lointaine, criarde et plaintive, alors qu'elle s'extirpait de sa gorge dévorée de braises. Qu'il se tortillait sur lui-même, comme un pantin de bois désarticulé cherchant à échapper à son funeste destin. En vain.

Il fallait bien que ça finisse par arriver. Depuis plus d'une semaine, réveillé chaque nuit en sursaut, avec cette même vision d'horreur, il tâchait pourtant de garder la face en journée, exténué par le manque de sommeil, mais redoublant d'efforts pour oublier ses nuits. Mais après ce qui venait de se passer ce soir, c'était évident. Ils l'avaient envoyé chez les fous. L'était-il vraiment ? Difficile à dire. Les médecins discutaient de son cas, et de celui de ses voisins de chambrée, sans lui adresser la parole. Nimentz furetant entre les lits en prenant des notes, les discussions à voix haute concernant la marche à suivre pour parvenir à les soigner; les visage préoccupés de Céleste et Thesryn, et Pelissier à côté de lui balbutiant à demi-mot qu'il avait essayé d'étrangler la prêtresse, pris de démence. Avait-il essayé de tuer quelqu'un, lui aussi ? Il n'avait pas envie de le savoir, pour le moment. Tout ce qui le préoccupait, c'était le goût métallique du sang dans sa bouche, sur lequel il se concentrait pour oublier l'odeur de la chair brûlée. Sa chair à lui. Se concentrer sur une douleur palpable, à la place, celle de sa mâchoire endolorie et de sa lèvre fendue. Se concentrer sur la réalité. Sur ces petites gouttelettes sur son front brûlant.

Enfermé dans son mutisme, tel un enfant apeuré à l'idée de sombrer dans une nouvelle nuit de cauchemar, il lutta contre le sommeil, longuement, scrutant le plafond de la tente. Essuyant son front, encore et encore, parfois pétrifié par une vision d'horreur de sa propre chair en lambeaux. Avant de se laisser engloutir, finalement, trop épuisé pour tenir tête à ses cauchemars.

Féralas. Son premier réflexe fut d'inspirer cette senteur boisée mélangée à l'air marin. Le second de balayer l'orée de la forêt puis les bâtiments elfiques, d'un regard perdu dans les limbes du passé. Là, sous le voile pâle recouvrant ses yeux, les souvenirs d'antan reprenaient vie. Visages, paroles, gestes, sourires... Tout lui revenait avec une clarté que jamais elle n'aurait voulu retrouver si tôt. Bloquée dans l'entrée du bastion de longues minutes durant, la kal'dorei ne parvint à s'extirper de ses songes que quand elle sentit une larme couler le long de sa joue.

Alassae Lunargent se présenta au campement peu de temps avant le départ pour le combat d'arène. Elle se montra calme, réservée, ne s'approchant pas particulièrement des mercenaires en dehors des commodités. Son équipement récupéré à l'intendance, elle put être aperçue assise en tailleur et yeux clos au devant de l'océan, comme plongée dans une méditation.

Toisant chaque mercenaire, chaque recrue, chaque officiers, de son presque mètre quatre-vingt, le sorcier semble des plus critiques. Un regard auparavant simple et dénué de toute animosité, l'homme semble avoir une étincelle nouvelle en lui. Et la Lumière sait que Ravenloft aime les étincelles. Lorsqu'il n'étudie pas, ou qu'il ne va pas questionner Silence sur d'éventuelles idées d'actions liées à l'abjuration, Dereck se tient à distance du campement. Face à la mer, il regarde l'île, autrefois habitée par les elfes, maintenant détenue par les Nagas. Sa tête se penche de quelques centimètres, rapidement bloquée par le collier, lorsqu'un mouvement semble avoir lieu sur l'île, ou non loin.

Son comportement des plus calmes et simples, se sera changé en un naturel bien plus assertif. Les réponses aux quelques mercenaires qu'il n'aura pas esquivé seront tout de mêmes brèves, mais concises. Dans les nuits les moins mouvementées par la boisson, les discussions et les jeux, le regard perçant du Sorcier pourra être aperçu. Jugeant et analysant, l'homme semble faire une étude de cas pour chaque mercenaire présent dans le camps. Certains seront pourtant épargnés, comme Terry et Landen. D'autres en revanche pourront le voir plus souvent, comme Sioraï, Maddie ainsi qu'Alieg.

Les heures passent, les minutes s'égrainent.
Patience.

La jour est bientôt levé, et les faibles lueurs percent déjà les quelques failles de la tente dans laquelle il s'est abrité. Dehors, on entend déjà les quelques clameurs des plus matinaux.
Depuis combien de temps est-il eveillé? L'est-il seulement? Tout ceci sonne faux, irréel. Absurde. Ridicule.

Les heures passent, les minutes s'égrainent.
Résilience.

Le Pendu, le Fou, la Justice. Tavoriel était probablement la plus douée de tous les charlatans qu'il avait connu. Rien de plus juste pour les deux premières: le sacrifice, les révoltes. La négligence d'avoir été trop confiant. La suite promettait un retour à la normale, oui. La suite promettait une Justice.

Les heures passent, les minutes s'égrainent.
Désillusion.
Mépris.

La clameur s'élève et le soleil perce -non sans mal- à travers la Canopée. On entend l'appel au rassemblement pour l'entrainement matinal et lui, brûle toujours d'un incendie allumé par une brindille. Le vide n'a jamais été aussi attrayant à regarder. Pas depuis des dizaines d'années. Quelques secondes supplémentaires lui sont nécessaires pour se redresser et sortir à la suite de son camarade, la machoire crispée par une colère sourde.

Patience, résilience.
Le chemin de la Justice n'est pas sans encombres.

Fermer les yeux sur les couleurs. Il y avait dans le noir opaque les vagues qui léchaient les galets de la grève, une mélopée de tintements et de carillons, en deux temps : flux puis reflux. Une mesure répétée, inspiration, expiration, facile à suivre.
La position était inconfortable. Il ne cessait de remuer. Encore un peu.. inspirer, expirer.
Elle avait dit trois respirations. Trois souffles. Respirer avec la mer et le vent. Simple.

Se détendre. En rythme avec l’eau… laisser couler la tension. Inspirer, expirer. Difficile.
Ne plus être en alerte. Ne plus être attentif au moindre son, aux changements de tension dans l’air, aux mouvements alentours. C’était une vulnérabilité qui lui déplaisait.

La tension ne refluait pas avec l’eau. La nervosité refusait de se laisser apprivoiser. Le fragile équilibre finissait, toujours, par se déliter.
Frustré, il finissait par se redresser, fixer les remous comme si c’était de leur faute. Et s’éloigner pour une autre tentative.

Depuis son arrivée, le belluaire ne s’était que peu mêlé à ses nouveaux camarades. Il ne refusait pas la conversation lorsqu’elle se présentait, mais il ne la cherchait pas non plus et rares étaient au final ceux qui avaient pu grappiller quelques informations à son sujet. Mais depuis la semaine dernière, Kieran avait fait en sorte de se faire plus discret encore. L’ourse n’étant jamais rentrée avec lui, le gilnéen consacrait maintenant l’essentiel de son temps libre à l’entraînement de Garahel, le jeune loup qui venait également souvent chercher son maître, perturbé par l’absence de l’ourse et jappant son désarroi. Mais le belluaire ne pouvait hélas pas y faire grand-chose, si ce n’est essayer de le rassurer.

Il avait cependant considérablement ralenti le rythme des entraînements depuis la dernière mission et l’assaut du convoi, s’occupant davantage des plaies de son compagnon sous le regard inexpressif mais pesant du corbeau. Ce dernier, quand il n’était pas occupé à couver sa place au sommet des arches elfiques aux côtés des chouettes de Sentinelles se tenait souvent sur le bras ou sur l’épaule de Kieran lorsque ce dernier se retirait à l’écart, comme le veillant.

Enfin, le rouquin prenait le temps qu’il lui restait pour vérifier son arme, notamment le mécanisme de son arbalète qu’il avait un peu délaissé mais conservait prête à l’emploi. C’était bien à la lance au final qu’il passait le plus clair de son temps, répétant les mouvements et s’entraînant à frapper, cherchant parfois à conjuguer ses assauts avec Cahir sur un mannequin d’entraînement.

Le jeune Guerrier de Strom, malgré l'épuisement et les blessures sera allé voir les Sentinelles, échangeant quelques pièces contre trois beaux merlans tâchetés, un petit sac de paprika et quelques légumes.

Une grande marmite dressée près de l'intendance servira pour la première fois depuis un moment à faire autre chose que du gruau épais et pâteux.

Les effluves de paprika et de poisson envahiront rapidement le camp. Alors que le Protecteur semble préparer une soupe. Un bouillon bien relevé, mais loin d'être épicé. Des poivrons fondants, quelques herbes vertes pour relever du coup et du merlant cuit tombant en morceaux dans la soupe aux couleurs rouges de Strom. Un bon halaszle de la Marche de l'Ouest en guise de repas de soir et de midi le lendemain pour les trop blessés ou endormis, Kalhad fera la distribution des bols en silence, sans accorder trop de mots ou de sourires, fourrant juste la soupe entre les mains de ceux qu'il croise.

Il allait mourir.

Il allait mourir. Il allait mourir là, au fond de cette galerie miteuse perdue au fin fond de Kalimdor, un endroit que même les kaldorei ne voulaient pas voir. Un terrier rempli d’insectes atroces, cliquetant de toutes parts comme dans un cauchemar.
Il allait mourir sous les yeux de Debbie dont l’aigue-marine s’embuait de peur. Il allait mourir alors qu’il avait enfin une piste à suivre, l’espoir de réponses.
Il allait mourir avec la panique incontrôlée qui lui martelait les tempes comme les battements désordonnés de son coeur, comme les souffles ratés qui brûlaient sa poitrine, les respirations qu’il n’arrivait plus à enchaîner correctement.
Jamais il n’avait eu l’espoir de les distancer. Déjà, les mandibules taillaient ses jambes, l’acide rongeait son dos. Sa course ne le menait plus nulle part. Il ne pouvait plus avancer.

Sursaut dans une sensation de chute. Réveil.

Il s’est encore assoupi. La toile de la tente de l’infirmerie laisse filtrer la légère brise marine.
Landen est allongé là. D’un regard il fouille la pénombre en quête de Yuri, mais il y a trop de blessés au retour de cette mission pour espérer le trouver inoccupé.
L’amère pensée que, pour une fois, ce n’est pas ce visage familier et désormais habituel qui hante ses songes lui traverse l’esprit.
Grommelant, il se redresse sur son siège, tâche de ses doigts de chasser la fatigue qui fait peser sa tête. Et reprend sa veille.

Depuis son arrivée, la Ren'doreï s'était pour le moins faite discrète.

Non pas que la compagnie de ses camarades la dérangeait, au contraire elle s'était révélée relativement joviale et souriante aux peu qui avaient eu l'occasion de lui parler, c'était davantage ses lointaines cousines kaldorei qui la mettait mal à laise. Cachant sa face et ses oreilles sous sa capuche, Talyren passait le plus clair de son temps à la surveillance du camp, et quelques rares missions de reconnaissance, rien de plus.

Car pour couronner le tout, avoir trouvé une foule de démons dans la forêt elfique n'avait rien fait pour rassurer l'ancienne elfe de sang qui, au contraire, aurait préféré les éviter le plus longtemps possible. Entre ça et la corruption ainsi que les problèmes inhérents à sa condition... On ne peut pas dire que la jeune elfe était particulièrement tranquille.

Un feu crépitait sur la berge et s’alourdissait encore l’air de Féralas. C’était une journée grise, terne, où le temps paraissait suspendu ; le vent n’agitait pas la canopée des grands arbres, et les animaux ne se faisaient pas entendre, réfugiés dans leurs terriers. J’avais voulu rester dans le mien également mais… mes pas me menèrent en direction du bûcher sans que je m’en rende compte.
Kieran ; son corps absent, ses possessions brûlant à sa place. Qui était-il ? Un maudit à trois bêtes, dont les mots se faisaient rares. Nous avions au moins cela en commun. Autrement ? Aucune parole d’échangée, aucun regard… et pourtant. Landen. Lomerak. C’était grâce à lui qu’ils étaient encore là, debout… et c’est à lui qu’ils rendaient hommage. Que nous rendions hommage.
Les sourcils froncés je rejoignais ma tente, habitée par une nouvelle venue. Les choses changeaient, sans que je puisse en maîtriser le cours.

Cette nuit encore elle rêvait des bourdonnements incessants, des déchirures de la chair et des cris tout autour d'elle. Elle revoyait le corps inerte de Landen que la Lumière attendait de l'autre côté de la rive, le regard ferme et pourtant troublé de Thesryn alors qu'elle lui empoignait le bras pour sortir de cet enfer, les coups donnés à la dague dans une masse de chair presque uniforme tant elle était nombreuse.

Mais elle fini toujours par en sortir. Quand elle se réveille, c'est dans les bras de sa compagne, son paladin préféré encore assoupi quelques lits plus loin. Elle en est sortie, et eux aussi. Presque tous s'en sont sorti. Et cette fois.. elle a senti la Lumière. Elle était présente, là, juste à ses côtés, non pas dans la colère aveugle du châtiment.. mais dans cette main qui relève, qui soutient sans relâche. Barrière après barrière, elle s'est sentie vivre, renaître d'un but nouveau. La journée suivant la mission se sera remplie de prières, méditations et discussions bien calmes entre petits comités. L'épreuve des silithides avaient eu raison de l'engouement habituel du campement, et la petite prêtresse ne pouvait que s'efforcer de rester souriante pour ceux que les combats avaient trop éprouvés.

"Par la Lumière, vous resterez vaillants !". Et vaillants ils sont restés, presque tous, jusqu'au bout. Les yeux posés sur le bûcher du seul mort de cette horrible soirée, elle comprend enfin l'importance de la protection, du soutien. Comme cette première ligne effrenée, comme Kieran. Relever, soutenir, être l'appui des autres. Alors elle retourne à l'infirmerie, là où elle peut être utile. Elle veille sur les corps gravés de mille et une griffures, et comble le silence de la nuit par quelques prières chuchotées.

Le père Hipkins s'en est allé. En effet, ce dernier aura assuré ses fonctions pendant une bonne partie du rétablissement du mercenaire et champion Camille Chat, veillant sur ce dernier jusqu'à ce qu'il ait jugé qu'il n'était plus en danger. Il aura fait part de sa démission sans énoncer quelconques motifs et aura disparu des effectifs aussitôt.

Ce n'était pas la première fois, échouant tir sur tir. La fatigue, les maux de têtes s'enchaînaient et il commençait à s'inquiéter. Ce soir là, c'était la fois de trop, la cible était Sik, un satyre invocateur, le lieutenant donnait l'ordre de concentrer les tirs sur ce dernier mais Ulfarir lui a tiré sur Adrian se trouvant pas loin du satyre. Ce qui a presque causé la mort du furtif. Adrian n'était pas quelqu'un qu'Ulfarir connaissait bien, un gars discret avec qui il a parlé une ou deux fois mais il s'en voulait vraiment, c'était la fois de trop. Et bien sur au retour de mission, le lieutenant n'hésita pas à lui rappeler qu'il a raté, qu'il n'aurait pas du. Il s'éloigna plus loin vers la plage, rageur, serrant fort son fusil dans les mains tout en regardant l'eau à ses pieds. Il hésitait à se débarrasser de ce fusil, pour lui c'était la solution, l'occasion de peut-être arrêter le tir ou bien d'en acheter un autre, ou alors revenir sur l'arc, peut-être que ça ferait plaisir à Gatsi. Il garde cette idée en tête.

Sioraï est venue le voir quelques minutes plus tard, elle le réconforta et il décida d'aller rendre une petite visite à l'infirmerie, histoire de voir si tout va bien chez lui.

La nuit était paisible et offrait depuis un moment déjà, sa compagnie à l'ancien chirurgien de bataille reclus dans son laboratoire pour accomplir son oeuvre.
Goutte à goutte, elle s'adonnait à l'art de la mixologie d'une main sûre, jamais tremblante, laissant de côté les murmures ténus qui avaient pris l'habitude de faire écho dans la moindre parcelle de son corps. Rien ne parvenait à troubler les réflexions analytiques d'Hazel dans ces moments-là. A l'exception de ce cours instant.

Une douleur vive à la poitrine. Comme un coup de feu silencieux déchirant son poumon, suivit très vite de l'écho d'une fiole de cristal se brisant sur le sol, échappée de sa main à l'impact invisible.
Elle n'eut pas beaucoup de temps pour saisir, comprendre, qu'une nouvelle vague vint la frapper. Plus violente, cette fois. Un millier d'aiguilles transperçant ses os qu'elle senti se briser, un à un, jusqu'au vertige.

Et puis le vide. Pas même le moindre murmure. Oppressant. L'absence de quelque chose d'indéfini qui vint assaillir son esprit et son corps, l'armure lentement rongée par l'acide déversé plus tôt.

La nuit n'était pas si paisible. Et dans le reflet de ses alambics éclairés à la bougie, le médecin se releva, en proie a d'amères illusions, éphémères.





"- Souffres-tu ?
- Non.

L'obscurité n'avait jamais été aussi noire depuis des dizaines d'années. Et Adrian y était bien, libéré de son carcan de chair. 
Elles étaient là, palpables puisque semblables à sa nature, ces Ombres s'entremêlant aux siennes en de nombreuses étreintes.
Elles prenaient parfois la forme de silhouettes familières, dansant tout autour de l'esprit égaré du Maître des Ombres. Et toutes, d'une seule et même voix, suave et chaleureuse, le berçaient en paroles.

- Tu n'es pas encore prêt.
- Je sais.

Sérénité. Plénitude. Apaisement. À l'Ombre de ces ténèbres, il se sentait libre. À la fois dévoré et se nourrissant d'elles. Il aurait voulu y rester. Il ne désirait qu'une chose, toucher son but. Et il en était si proche.

- Tu es rappelé.
- Je sais.

Elles ne le repoussaient pas, ni le retenaient. Elles n'étaient pour l'heure, que les nombreux enchevêtrements d'un cocon dans lequel il était bon de se réfugier. D'oublier la douleur, d'oublier l'insignifiance du corps. 
Alors puisqu'il y était encore le bienvenu, il s'y réfugia, ne s'accrochant à son enveloppe que par un fil fragile qui ne tenait que par la volonté d'accomplir son dessein.

- Je ne suis pas prêt. Je ne veux pas être rappelé. Pas tout de suite. Laissez-moi un peu de temps.
- Nous savons."

Tout va bien maintenant. Tout va bien.

Malaise intense. Il lui fallait de l’air. De la distance. De la solitude. Du vide.
L’affluence toujours intense de l’infirmerie, la souffrance des blessés, l’agitation des médecins, difficilement supportables. S’y glisser et rester calme, veiller, était impossible.

La peine de Maddie.

Le silence d’Adrian.

Inerte mais vivant. L’anxiété martelait son sternum de l’intérieur, incontrôlable. Il n’avait pas besoin d’étendre ses mains pour les sentir trembler. Infimes vibrations.
Alassæ ne lui serait d’aucun secours pour apaiser le tourment. La violence non plus ne pourrait le sauver de ses émotions. Pour une fois, peut-être la première, il ne voulait pas voir mourir, il voulait voir vivre.
Recroquevillé derrière la tente de l’infirmerie, calant sa tête entre ses genoux. Sans Lydon, il était de nouveau seul. Sans Vipère, il n’était qu’une pauvre Souris égarée.

Les yeux fermés, il entendait les aboiements. Nets. Si proches. Tout va bien maintenant.

Le grand barbu aura finalement fait ses adieux à la compagnie. Il aura déposé une lettre de démission avec le prétexte que sa petite était malade, et qu'il devait rentrer. Il sera donc partit en disant au revoir à Durobar, et en lui filant ses 3 dernières petites marques noires. Il aura aussi donné à Taylor son anneau de précision, parce que ça lui servira pas plus que ça.

""Bordel, quelle soirée..." pense le mercenaire, s'installant sur sa couche, avec un petit bol remplit d'un cataplasme en main, histoire de guérir ses brûlures au dos.
Ce n'est pas la première fois qu'il sort d'une mission avec des blessures bien sûre, mais bon, face à un gros démon qui faisait facilement presque deux fois sa taille et trois fois son poids, c'est une nouveauté ! Il se souvient encore du coup de hache trop rapide, le bruit de son armure qui se déchire comme un morceau de papier et la façon dont il dégringole en bas des escaliers telle une vulgaire poupée de chiffon : pour un type assez vétéran dans le mercenariat, ce fut un peu embarrassant pour son orgueil.

"Enfin. L'important c'est que je suis vivant." marmonne-t-il entre ses dents, frottant le produit contre son dos, tâchant de ne pas faire trop de bruits, comme Collins dort déjà à l'autre bout de la tente. La jeune femme s'en est bien sortit d'ailleurs : elle passe de chasser les gnolls et autres bandits n'ayant pas grand-chose dans le ciboulot à des gangregardes. Et probablement pas le dernier ! L'avantage, au moins, c'est qu'ils sont tout deux dans une compagnie avec de sacrés bon gaillards, de ce qu'à vu l'homme dans presque sa quarantaine. Avec d'excellent soigneurs aussi : il serait en train de pleurer sa propre mort sans l'aide du chaman et de cette femme ... "Par la Lumière, je m'en suis pris des claques ce soir."

Dans tout les cas, à la première lueur de l'aube, Addlin sera déjà debout, profitant d'une séance d'entrainement pour se remettre en plus : sa propre routine comme il le fait tout les jours depuis presque vingt-deux ans maintenant, couplé à l'entrainement de la Rétribution. Cela ne le dérange pas du tout bien évidemment : l'important c'est de garder la forme !
Suite à ça, il fera aussi un tour chez l'intendante absente, s'adressant à qui que ce soit qui s'en occupe pour se prendre un nouveau casque et épaulière ... et, après mûres réflexions, un bon gros bouclier aussi : après sa performance de l'aut' soir, il préfère miser sur une plus grosse défense. De toute façon, il sait tenir sa hanche sans trop de soucis avec une seule main, il frappe juste plus fort avec ladite arme quand il la tient autrement.